Lettres de Bruxelles

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Mon cher, Bruxelles, le 11 septembre 2000.
Magda m'a fait part de ton intérêt pour les oeuvres de Paolo Leonardo. Je viens de recevoir un catalogue de Massimo Carasi dont la galerie d'art contemporain a organisé conjointement à l'association culturelle "Il Castello" une exposition "Oltre la pittura" (Au-delà de la peinture, Beyond painting) à Mantoue en Italie, du 13 mai au 11 juin 2000. Je te résume ci-après ce que j'ai compris des interventions de Leonardo au cours du débat conduit par le critique italien Alberto Fiz, à l'occasion de cette exposition au titre un peu prétentieux eu égard aux deux artistes dont l'un, Rotella reste très en deçà de la peinture tandis que l'autre, Leonardo prouve bien qu'il y a de la peinture possible dont le dépassement est un projet vain ou vaniteux.
Le vieux Mimmo Rotella y était confronté avec le jeune Paolo Leonardo. Dans les années cinquante, Rotella, découragé par le très difficile art de peindre, avait préféré décoller des affiches sur les murs de la rue pour les réintroduire dans le cadre de l'art ready made. Enfin je ne compte pas m'étendre sur ce genre de déviation duchampesque dont on connaît les avatars. La supériorité de Leonardo saute aux yeux dès que l'on compare dans le catalogue, par exemple "the Bride" de Rotella, 1999 avec le "Dittico" de Leonardo, 2000. Alors que Rotella accepte et promeut l'imagerie publique telle quelle (le comble de sa méthode ayant été d'exposer des affiches entières sans aucune modification dans une galerie parisienne en 1995), Leonardo transforme les affiches afin de modifier la perception du corps représenté.
Son but est de créer une vision individuelle partant de quelque chose qui est généralement partagée comme la représentation photographique des corps et des visages dans les affiches publicitaires. Il désire se réapproprier l'aspect visuel des images destinées à représenter le corps. Il part du stéréotype et le replace à travers la peinture et sa sensibilité. En transformant les images, il veut se les réapproprier et défier les conventions au point de changer le message. La peinture a une valeur quasi physique et elle sert à récupérer l'identité perdue du sujet.
L'art pour l'art, la peinture pour elle-même et ce qui se passe sur la toile, ne l'intéresse pas. Il trouve que la façon dont le corps est représenté dans la publicité a une valeur vraiment iconographique. Travaillant sur la figuration, il tend à l'abstraction par une combinaison progressive de caractère émotionnel qui débouche le plus souvent sur un travail monochrome. Selon lui, la couleur est quelque chose de pure en soi, par conséquent la part d'image résiduelle y apparaît comme une impureté, du trouble, une manifestation du vivant. Ce qui lui importe est que l'oeuvre corresponde au contexte contemporain. Retourner la manière dont l'homme est représenté dans l'imagerie publicitaire, est un moyen pour recontextualiser la peinture en termes contemporains. Il souhaite transmettre une vision de l'homme du 3ème millénaire, partant des grands modèles qui ont modifié la perception comme celle de Giacometti ou Bacon, mais aussi de Picasso, Fontana et Rotella, dit-il.
Leonardo estime que le bombardement des images s'est intensifié à partir des années soixante et l'a saturé. Il a la sensation qu'il ne peut plus longtemps voir ces corps et ces visages, s'il ne les attaque pas avec de la peinture, ce qui devient alors une sorte de rituel afin de purifier sa propre vision. Il rappelle ce que disait Roland Barthes sur la tyrannie de la photographie qui atténuerait les autres sortes d'images : "plus de gravures, plus de peintures figuratives, sinon elles sont soumises à la fascinante fascination du modèle photographique"
[quelqu'un peut-il nous envoyer la citation exacte et la référence exacte de ce texte ici traduit de l'italien ? NDLR].
Leonardo pense que la photographie ne nous donne plus une image de la réalité et donc il est nécessaire de la changer par la peinture, pour retrouver la conscience de la représentation. Il est définitivement intéressé à ramener l'image photographique dans le domaine pictural, dans le contexte de l'art de peindre, dans le champ de l'art qui reste à faire.
En espérant avoir contribué à ton édification afin de soutenir ton effort vers un art dialectique.
Milan WOLSZTAJN.


Lettre de Magda Werquin du 22 août 2000

Les différents acteurs classés par ordre d'entrée dans le texte :
Paolo Leonardo, né en 1973 à Turin, vit et travaille à Turin, Italie.
Massimo Carasi, 1/b via San Longino, I - 46100 Mantova, Italia.
Tel=Fax + 39 0376 36 32 48. e-mail : carasi-massimo@libero.it
Associazione Culturale "Il Castello", 40 via Marconi, I - 46040 Ponti sul Mincio, Mantova, Italia.
Alberto Fiz, critique d'art italien.
Mimmo Rotella, né en 1918 à Catanzaro, vit et travaille à Milan.

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