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Intermezzo
Balade à Dorsoduro

Vers huit heures, l’horloge biologique de Jérôme le réveilla naturellement. Il constata ne pas être dans son lit et il se rappela les évènements érotiques de la nuit. Il gagna la salle de bain où Teresa Avila prenait une douche, Jérôme se glissa sous le jet d’eau et surprit la belle par derrière qui serra ses fesses contre lui. Il lui savonna les seins et le sexe avec une impression de déjà vécu. Elle se tortilla sous la caresse en riant. À son tour elle lui frotta le dos et les fesses, et les jambes et le sexe, et les bras et le buste, et la nuque et l’embrassa sur la bouche. Avila, je te plumerai la tête !

Dans la salle à manger, Julietta avait préparé le petit déjeuner et attendait pour servir le caffè. Mais leur préférence alla à de grands cappuccini.

Le père Luchino Longhi n’était pas encore levé et ils décidèrent d’aller se balader sur la Fondamenta Zattere jusqu’à la Chiesa di Santa Maria del Rosario, un peu plus loin au-delà du Ponte Lungo. Ils y admirèrent le plafond de la nef centrale peint affresco par Tiepolo et en particulier « L'istituzione del Santo Rosario », dans lequel il met en œuvre tout son génie de l’illusionnisme et de la perspective où les personnages semblent flotter dans un décor architectural et aérien. De retour à l’extérieur, le soleil bas du matin d’automne affleurait sur le Fondamenta Zaterre ai Gesuati sur lequel Teresa Avila entraîna Jérôme jusqu’au rio de San Vio.

— Venez, je vais vous montrer quelque chose…

Elle prit son nouvel amant par la main et l’emmena via Fondamenta Bragandi vers le Canal Grande jusqu’au Campo San Vio. Ils tournèrent dans Calle de la Chiesa pour atteindre Fondamenta Vernier dal Leoni.

 Sotoportego E Corte Venier dal Leoni

— Regardez ici, sous ce sotoportego, cette tête d’angelo qui émerge du mur de cette impasse.

Y a-t-il quelque part dans le monde un pareil ornement architectural d’arte spontané ou naïf ?

 Sotoportego Testa angelo

— Oui c’est très poétique, dit-il admiratif, cela aurait certainement plu aux surréalistes.

— Si vous aimez la poésie, il y a ici un autre exemple de poésie concrète...

Elle rebroussa chemin de quelques mètres pour aborder le ponte del Formager.

 ponte del Formager

— Ouvrez les yeux au-delà du seul regard fonctionnel. Observez ces piliers de pierres du garde-corps. La pierre blanche est rugueuse et contraste avec la rambarde de métal lisse. Mais ici au coin du pont, voyez le sommet de ce pilier dont la pierre ronde est lisse comme un sein de femme, car il a été caressé par des milliers de paumes. Et de l’autre côté, regardez la petite bosse au-dessus de celui-ci, il est doux comme un téton. À propos comment avez-vous trouvé mes seins ?

 coin du ponte del Formager      coin du ponte del Formager

— Ravissants, un mélange de douceur et de fermeté, un peu comme vous, bellissima.

— Vous êtes gentil, je savais que ma nature allait vous plaire. Mais venez, passons par là, c’est moins fréquenté.

Ils s’engagèrent sur Fondamenta Ospedaleto en face de la collection Peggy Guggenheim. En désignant l’endroit sur l’autre côté du rio de le Toresele, elle poursuivit :

— Enfants, nous jouions dans le jardin du Palazzo Venier dei Leoni. Je n’ai pas connu Peggy, mais elle a bien connu mes parents, ils étaient amis. À l’époque les enfants du quartier pouvaient y jouer. Nous mettions de l’animation, car il y avait beaucoup moins de visiteurs qu’aujourd’hui. Que d'agréables souvenirs…

— J’imagine, quel bonheur ce devait être.

 Rio de le Toresele

— Ma mère, de peur, nous interdisait de franchir le grand pont de l’Accademia, nous pouvions seulement y monter jusqu'au sommet pour contempler la Basilique di Santa Maria della Salute. D’ailleurs allons-y, venez, c’est par ici…

Ils passèrent calle Molin qui s’ouvre sur le campiello Barbaro avec son petit jardinet insolite.

 campiello Barbaro

Puis ils empruntèrent calle del Barbaro afin d’atteindre Fondamenta Salute, où trône la Basilica di Santa Maria della Salute, construite en cinquante ans après la terrible peste de 1630 qui décima un bon tiers de la population de Venise.

— Ici aussi nous pouvions venir jouer et nous reposer sur les marches. Parfois avant de rentrer à la maison, on arnaquait les touristes à l’entrée en leur mendiant quelques pièces « per la chiesa » et ça payait bien.

— À Londres aussi, il y a des gosses qui mendient « the penny for the guy », hors de la Guy Fawkes Night. Et me voilà aussi en train de mendier des millions pour alimenter notre hedge fund.

— Venez voir à l’intérieur, la disposition n’est pas cruciforme comme d’habitude avec une nef centrale. Ici, au centre, il y a un grand cercle vide cerné d’une colonnade bordée de trois chapelles de chaque côté. À ce grand cercle est tangent un plus petit qui forme le chœur, avec son maître autel surmonté de la sculpture monumentale de la Salute qui défend Venise de la peste.

Santa Maria della Salute (Venice) - Main altar - Sculptures by Giusto Le Court.jpg
Sculpture de Josse Le Court, photographiée par Didier Descouens – Travail personnel, CC BY-SA 4.0, Lien

— Impressionnant ! et très lumineux, il y a une belle lumière.

— La lumière du Saint Esprit, dit-elle avec ironie.

— Mieux, c'est l’esprit de l’homme qui s'est incarné en cette sculpture dans cette architecture.

— Il ne manque plus que la musique pour accompagner ces peintures et on en aura fait le tour.

Après avoir parcouru la rotonde, ils ressortirent et dévalèrent rapido les marches pour attraper le vaporetto qui venait d’accoster.

— Venez, dit-elle, allons jusqu’à l’Accademia, ça nous avancera.

En cette saison brumeuse, le vaporetto n’était pas trop plein de touristes. Mais de toute façon, ils descendaient alla prossima fermata, juste à côté du pont de l'Accademia.

Bras dessus bras dessous, le couple prit le rio Terrà Foscarini pour revenir à Zaterre.

— Allons voir si mon père est levé et prêt à vous écouter…

— J’espère m’entendre avec lui, mais il n’a pas l’air commode.

— C’est un genre qu’il se donne pour décourager les importuns, mais c’est un brave homme qui a le cœur sur la main. Vous verrez, ça devrait bien se passer, sinon vous pensez bien que je ne vous aurais pas amené jusqu’ici.

— Sauf pour me posséder, dit-il en l’enlaçant. Un long baiser conclut la promenade.

 un baiser à Venise

Note : les parties de texte soulignées sont des liens vers une autre page.

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