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Tosca Osborn

Il n’y a pas loin entre le Métropole et les Galeries royales Saint-Hubert où se trouvait le restaurant, c’était l’occasion de flâner en échangeant quelques mots. Sur le parcours, on passe forcément devant le Théâtre royal de la Monnaie qui abrite l’Opéra. En désignant l’édifice, Teresa Avila expliqua :

— Mon amie se prénomme Tosca car son père était amateur d’opéra et il avait un faible pour celui-ci de Puccini. Il adorait la scène dans laquelle Floria Tosca poignarde le baron Scarpia, le ministre de la police pontificale, en proclamant : « Questo è il bacio di Tosca »* et ensuite le point culminant où, penchée sur l’homme gisant au sol, elle lui crie « muori ! muori ! muori ! » par trois fois selon la règle de la tragédie. Elle rit.     * (« C'est ça, le baiser de Tosca »)

 Tosca crie muori !

— J’espère que votre amie est plus commode.

— Si si, elle est charmante, mais elle a son caractère comme la Tosca de Puccini.

— Mais vous aussi, votre prénom est peu banal.

— Un peu encombrant, ne trouvez-vous pas ?

— Pas du tout, il sonne très bien, juste un peu mystérieux.

— Mystique vous voulez dire ! Vous êtes gentil. Ma mère était une bigote indécrottable.
Mais elle nous a quitté, pour le paradis assurément, Dieu ait son âme.

— Ah, désolé... Et votre père ?

— Tout le contraire, pour peu il aurait été communiste à l’époque, car à Venise beaucoup l’était, enfin presque, mais c’était surtout les ouvriers de l’arsenal et les ouvriers typographes. Mais tout ça c’est de l’histoire ancienne. Le tourisme a tout bouleversé.

— Et il vit à Venise ?

— Si si ! Pour lui c’est impossibile de vivre ailleurs, il y est né, comme moi.

— Ah bon ? Ce doit être spécial d’être un enfant dans cet univers si différent des autres villes ?!

Elle lui lança un regard plein de malice, mais ne répondit rien, d’autant qu’ils s’engageaient maintenant dans la Galerie des Princes, ce faisant ils passèrent devant la librairie Tropismes, prirent à droite dans la Galerie du Roi et enfin gagnèrent la Taverne dans la Galerie de la Reine.

 la Taverne du passage
Le restaurant où ils avaient rendez-vous avec Tosca Osborn

Madame Teresa Avila Longhi et Jérôme KA arrivèrent les premiers à la Taverne du passage et prirent place de chaque côté de la table, la dame s’installa sur la banquette tandis qu’il s’assit sur la chaise en face d’elle. Au maître d’hôtel qui les accueillit, elle s’avisa que la réservation initiale de deux couverts puisse si possible passer à trois couverts ? Aucun problème pour lui, la table pouvant compter quatre convives, on y ajoutera simplement un couvert. D’emblée, Teresa Avila proposa de dîner au champagne qu’ils pourraient déjà entamer en guise d’apéro en attendant son amie Tosca Osborn avec laquelle elle avait rendez-vous.

Une fois bien installée, une gorgée bue, Teresa Avila entama la conversation.

— Mon cher Jérôme, je vous admire d’oser vous lancer dans une si ambitieuse entreprise financière en ce moment où tout le monde se réfugie dans les placements les plus sûrs.

— Bah ! d’une certaine façon, je n’ai pas vraiment le choix, je suis une victime collatérale de la faillite de la Banque Lehman Brothers, vous savez la faillite suite aux fonds toxiques bourrés de subprimes titrisés. Pour moi, c’est quasiment impossible de retrouver un job similaire alors que tant d’autres financiers cherchent une place tous en même temps.

— Sans doute, mais tout le monde ne se lance pas dans un tel projet si risqué.

— Peut-être, je sais que ce sera très difficile à mettre sur pied et surtout de trouver les fonds pour financer cette entreprise, c’est un cercle vicieux. Et donc commencer par le hedge fund devrait nous permettre d’obtenir un bras de levier capable de lever un premier apport suffisant pour amorcer une spirale d’expansion…

— Et vous avez déjà un premier capital de départ pour ce hedge fund ?

— Oui et non, je dispose d’un petit capital personnel comme mon ami Richard qui s’est engagé à m’aider dans la constitution du fonds, par contre notre amie Béatrice ne veut rien entendre de cette histoire qu’elle juge rocambolesque et foireuse. Mais je suis en train de contacter des gens fortunés pour voir s’ils veulent investir dans ce hedge fund en leur offrant la perspective d’une belle rémunération à l’image du risque encouru. À nous de pouvoir encore tirer profit d’une performance supérieure.

— Est-ce possible d’atteindre de tels objectifs avec régularité ?

— Nous le pensons, et Richard possède un systemPI d’analyse et de négociation des actifs sur les marchés qui devraient permettre des performances hors du commun.

— Ouh la la ! c’est tentant !

— Et bien laissez-vous tenter. Ce sera de la toute grande sensation, je vous le garanti.
 

Mais voici que la majestueuse Tosca Osborn fit son entrée dans le restaurant. La démarche élastique lui donnait un air de danseuse qui se déplace avec légèreté sur ses baskets blanches. Sa chevelure rousse flamboyante encadrait un visage rayonnant dont le regard happait le vôtre. Elle était vêtue d’un blue-jean serrant au-dessus duquel flottait une chemise de soie ivoire sous laquelle pointaient ses petits seins et sur laquelle un rang de perles soulignait un large col souple. La veste ouverte de daim prolongeait la couleur fauve de sa coiffure en bataille. Elle enleva le gant de sa main pour serrer celle de Jérôme en se présentant mutuellement, puis elle se pencha vers Teresa pour lui baiser les lèvres. Par une habile pirouette, elle se laissa tomber sur la banquette à côté de sa bella ciao qui lui serra le bras en un geste de possession amoureuse, sous le regard amusé de Jérôme qui ne perdait rien de la connivence des deux femmes.

— Amore, ecco l'uomo che rivoluzionerà la banca ! lança Teresa.

— Tesoro, è possibile ? questionna Tosca.

— Con te e me sicuramente ! dit-elle en souriant à pleines dents.

— Je suis curieuse de savoir comment vous allez pouvoir faire ça ! dit-elle à Jérôme.

— C’est simple, dit-il, on va agir comme les GAFAM : fournir un service bancaire à tous via internet pour que chacun puisse donner du pouvoir à son argent par la mise en collaboration d’une masse critique interactive. Par exemple prenons Wikipedia, cette encyclopédie gratuite en ligne donne de la connaissance à chacun selon ses besoins et chacun collabore selon ses capacités, cette intelligence collaborative instantanée mise en œuvre est à l’image de mon projet de banque qui offrira du pouvoir financier à chacun selon ses besoins et chacun participera selon ses capacités financières, notre rôle consitera à valoriser ce pouvoir financier par la mise en commun de l’argent de tous.

— Donc je pourrais débiter un million d’€uros, même si je n’ai déposé que mille €uros sur mon compte ?

— Non pas exactement, vous ne pourrez pas vous approprier l’argent des autres, c’est l’argent de tous qui offrira la capacité d’agir financièrement sur la situation de chacun. Votre capacité d’emprunt sera la même que dans une banque traditionnelle, mais si votre besoin d’investissement répond aux options résultantes des algorithmes complexes des déposants, il en sera facilité soit par le montant accordé, soit par les taux d’intérêts appliqués. Donc effectivement vous pourriez obtenir un million pour vos mille €uros, si et seulement si le système juge que votre investissement correspond aux normes résultantes des options définies par suffisamment de prêteurs.

— Mais c’est la dictature de tous !

— Vous préférez la dictature de quelques-uns ?

— Je ne sais pas, mais ça me semble un peu communiste votre histoire !

— Appelez ça comme vous voudrez, mais actuellement comment se décide d’accorder ou non un emprunt à un particulier ou une entreprise, selon quels critères ? C’est loin d’être transparent et ne tient aucun compte de la nature du projet, mais uniquement de la capacité du débiteur de rembourser son créancier.

— N’avez-vous pas peur d’avoir un taux de défauts important si vous n’êtes pas plus sévère sur les capacités de remboursement des débiteurs ? La crise des subprimes n’était-elle pas justement due à des prêts aux NINJA* ?
    * (No Income, No Job, no Asset, que l’on peut traduire par : Pas de revenu, pas de travail, ni d’épargne)

— Les subprimes étaient une véritable escroquerie. Des courtiers sans scrupules octroyaient des emprunts dit subprimes à des gens peu solvables, au contraire des emprunts primes qui ne posaient aucun problèmes de remboursement. Le risque était entièrement assumé par la banque. Ces banques ont titrisé ces risques en les dissimulant dans des fonds qu'ils vendaient à tout va. La masse de ces fonds toxiques se sont retrouvés dans le bilan de toutes les institutions financières, avec la suite que l'on connaît. Le problème fut la conséquence du relèvement des taux d’intérêt sur des contrats d’emprunt à taux variables qui sont les plus faibles à court terme, mais peuvent devenir les plus chers selon la conjoncture du marché des capitaux. Dans notre modèle, le taux est fixe et calculé jusqu’au terme, laissant le débiteur à l’abri d'une hausse de ses remboursements. En plus, statistiquement, il est établi que les pauvres qui font de petits emprunts opportunistes présentent un taux de défaut très marginal, au contraire de gros débiteurs exposés à des activités plus risquées.

— Possible !

— Mais laissez-moi vous en dire plus sur mon projet…

Jérôme partit alors dans l'explication que Teresa Avila venait d’entendre. Moins attentive, elle s’amusait de triturer les boucles des longues mèches de Tosca en jetant un coup d’œil de temps à autre vers le bateleur faisant le boniment pour sa banque peu banale ayant pour but de bouleverser les bases de la finance mondiale. Rien que ça.

— Mais avant de pouvoir lancer cette MetaWorldBank proprement dite, mon ami Richard PI et moi, nous comptons utiliser un hedge fund pour constituer un capital de départ à la hauteur des besoins d’une telle entreprise financière…

— Richard qui ? interrompit-elle.

— Richard Pirrare, mais on l’appelle PI comme la constante d’Archimède π, le nombre relatif au rapport du cercle inscrit dans un carré, car Richard est très fort en mathématiques financières. Je vous invite donc toutes deux à investir dans ce premier pas pour la banque qui fera faire un bond de géant à l’humanité.

— Banco ! s’exclama Tosca, mais je ne suis pas une pauvre petite fille riche et je n’ai pas de riche papa comme toi, dit-elle en se tournant vers Teresa qui lui tendit ses lèvres.

— Amore perfido, a ciascuno secondo le sue capacità, capito ?

Elles partirent d’un rire complice sous le regard en suspens de Jérôme qui s’interrogeait…

— Jérôme chéri, vous avez gagné le gros lot, je vous invite à rencontrer mon père qui aura peut-être de quoi vous satisfaire.

Et toi, Tosca chérie, offre lui tes services professionnels pour rameuter de riches investisseurs.

— Ben voyons ! et c’est toi qui va me payer ?

— Non, c’est moi ! intervint Jérôme, il n’est pas question de travailler gratuitement et les capitaux qui viendront se joindre aux nôtres seront également rémunérés sous forme de dividendes. La philanthropie doit offrir un avantage pour tous, car être au service d’une cause ne signifie pas un sacrifice à la cause.

— Bien parlé capitaine ! s’esclaffa Teresa Avila sous l’effet de l’euphorie de l’esprit de l’heure, et aussi du champagne, faut-il le dire !?

On se mit d’accord : Teresa Avila emmènerait Jérôme voir son père à Venise, tandis que Tosca préparerait les plans d’une campagne publicitaire, à destination d’un public fortuné.
Cette campagne devrait être lancée à leur retour. Rendez-vous fut pris au lendemain pour gagner Venise par avion dont elle réserverait les flight tickets

De retour à son hôtel, Jérôme fit rapport à Richard en lui envoyant un courriel la nuit même. Au même moment il reçut un texto de Teresa lui confirmant leur passage sur le vol de 14H25. « Soyons à l'aeroporto vers 13h ».


Note : les parties de texte soulignées sont des liens vers une autre page.

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