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Conception de la Forme

Disons le tout de suite par écrit : je ne suis pas un écrivain ! C'est-à-dire un auteur spécialisé dans le travail de l'écriture, possédant une culture littéraire étendue et capable d'aligner son imagination sur de nombreuses pages de livres qui peuvent meubler les rayons des bibliothèques. Mais doit-on abandonner l'écriture aux seuls spécialistes, en se confinant uniquement à l'écrit strictement nécessaire ou utile ?
Non plus.

Un récit structuré est une réelle performance qui articule une somme d'idées, d'observations, de renseignements et de documents au sein d'une histoire ayant généralement un début et une fin, même si la linéarité de l'écoulement du temps peut y être décomposée en épisodes non successifs.

Notre projet littéraire ne prétend pas rivaliser avec ce genre de chef-d'œuvre de la littérature, mais se propose de composer le texte sur la base de la faculté hypertexte, c'est-à-dire le renvoi facultatif et automatique vers une partie relative à son entrée.
Une telle structure exploite le traitement du texte par les ordinateurs et la généralisation de l'interconnectivité en réseau : l'internet et le mode HTML (Hyper Text Markup Language) décrivant une structure logique entre les parties d'un document ouvert. Voilà pour la forme de la distribution des unités textuelles.

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forme littéraire

La forme littéraire sera relative à chaque texte selon son sujet, sa nature textuelle ou contextuelle. Par exemple une carte postale ou une lettre, une poésie ou une nouvelle, un mémoire ou un récit, voire quelques mots au revers d'un carton de bière ou un courriel, un texto de téléphone ou un tweet, etc., auront chacun un style propre, même s'il n'est pas exclu de transcender leur genre.

Le nuage de ces textes sera composé de particules littéraires affranchies de l'utilité du discours. Comme la motivation n'est plus la communication seulement utilitaire : liste de courses, lettre administrative, rapport d'activité, mode d'emploi, document divers... une large part sera laissée à l'invention et à la fiction, sans perdre la référence au réel qui les inspire, car le contenu s'inscrit dans la perspective du réalisme, quitte à ce qu'il soit parfois irréel ou surréel.

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juste comme ça

Pourquoi former ainsi une telle nébuleuse de textes sans queue ni tête ? c'est parce que, dans la vie, la langue se livre souvent par paquets et à titre d'illustration, suivons les rencontres du verbe avec la chair d'un personnage au cours d'une simple journée. Au réveil, à peine sorti du langage symbolique de ses rêves, il feuillette le journal en portant une attention matinale d'un titre à un article... mais cette lecture est peut-être interrompue par un proche, femme ou enfant, pour dire une anecdote, un commentaire, un avis, soit une requête.

Avant de sortir, un courrier peut aussi devoir retenir son attention ou il voudra suivre quelques propos à la radio, interpelé encore par on ne sait quoi d'autre. Plus tard, en chemin, son esprit capte les informations ou les indications de circulation – je devrais dire les embarras – entrecoupées de boniments publicitaires. Si le transport est public, il pourrait lire un magazine ou quelques pages d'un livre. Levant les yeux, depuis les jambes jusqu'au visage, il portera, sans le vouloir, un regard fuyant sur une réclame (qui est un exemple de communication efficace en forme brève).

Au travail, tout à ses affaires où concourent des chiffres et des lettres, un coup de téléphone change le fil de ses pensées et il répond à des paroles lointaines par des paroles appropriées. Quelqu'un entre alors lui rappeler une réunion, tout en ajoutant quelques mots, quand ce n'est pas tout le récit du week-end ou le commentaire d'une émission de télévision regardée la veille.

Encore beaucoup de discours dans cette réunion dont le ronron ennuyeux est enfin brisé par l'entrée parfumée d'une secrétaire chargée de documents. Sa présence infra-verbale lors de la distribution des copies, a la faculté de ranimer l'assemblée, les hommes par instinct, les femmes par vigilance rivale. Notre personnage se prend à rêver à ce qu'il lui dirait pour la séduire en l'amusant, avant d'être rappelé à l'ordre du jour par une phrase dite d'une voix forte. Il parcourt d'un oeil distrait le rapport déposé par de jolies mains et il ne pourra pas éviter de la respirer, en jetant un coup d'oeil automatique sur les mollets sous le ras de la jupe. Voilà comment n'importe qui pourrait naviguer dans mille préoccupations quotidiennes, toutes habillées de mots.

De retour chez lui, d'autres distractions vont meubler la soirée : échanges au cours du repas, conversations, lectures, informations télévisées suivies d'un film ou un débat... et toujours ce flot intarissable de phrases en ordre dispersé. Tout ceci dit pour évoquer la texture multiple par laquelle nous sommes en relation avec la langue dans la vie : des bribes discontinues de mots en unités formelles avec lesquelles nous vivons et que nous comprenons... Voilà pourquoi, la littérature proposée ici sera comme ce puzzle de bulles textuelles qui composent en permanence notre vie.

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