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LES DÉBUTS DE LITTÉRATURE

Après la disparition de la revue de Pierre Reverdy, Nord-Sud, André Breton et moi, Philippe Soupault, nous décidâmes, après de longues discussions, de publier une revue, plus éclectique que Nord-Sud. André Breton et moi-même subissions encore les influences de quelques-uns de nos aînés. Nous étions bien naïfs. « Aux innocents les mains pleinnes. » Quand nous hésitions encore, nous fîmes connaissance d'un jeune homme qui désirait devenir un écrivain et qui semblait avoir quelques moyens, Henry Cliquennois. Il nous proposa d'éditer une revue dont il serait le directeur et nous les rédacteurs en chef. C'était le mariage de la carpe et du lapin. C'était aussi mal connaître André Breton. Pourtant les rencontres avec Cliquennois continuaient.Il s'agissait d'abord de trouver un titre pour cette revue. Nous avons beaucoup cherché. Nous avons alors consulté Pierre Reverdy qui nous proposa le titre : « Carte Blanche »*... C'était dans le style de Reverdy mais il nous parut trop singulier. André Breton eut alors l'idée de demander conseil à Paul Valéry. Celui-ci nous reçut et parut assez content de nous proposer ironiquement et en souriant de choisir le mot : Littérature, « souligné ! » nous dit-il, dans le sens où Verlaine dans Art poétique avait précisé : « Et tout le reste est littérature ». « Tout un programme » nous fit remarquer Paul Valéry. C'est sans enthousiasme que nous choisîmes ce titre en nous souvenant que c'était l'auteur de la Soirée avec M. Teste qui nous l'avait proposé. Un titre c'était une promesse. Mais après l'avoir adopté, Henry Cliquennois se montra de plus en plus réticent.

Cependant, nous avions établi une liste des écrivains qui pouvaient être sollicités. Liste hétéroclite. C'était une liste qui aurait pu être celle de la Nouvelle Revue française qui n'avait pas encore annoncé sa résurrection. Henry Cliquennois était de plus en plus inquiet des responsabilités qu'il avait pu croire assumer. Il craignait l'autoritarisme de Breton. Il nous proposa un prospectus annonçant la parution de la revue Littérature dont la direction et la rédaction étaient situées 1, rue Clovis à son domicile. Mais après une discussion fort animée Henry Cliquennois préféra se retirer. Il en avertit André Breton en lui renvoyant les prospectus qui, je crois, furent corrigés d'un commun accord. Je pense que les corrections furent écrites par Cliquennois qui n'était pas fâché de se débarrasser de cette lourde responsabilité. « Je vous comprends » lui dit André Breton sans méchanceté. C'est ce dernier qui habitait à l'Hôtel des Grands Hommes, 9, place du Panthéon qui accepta de recevoir les abonnements.

Mais il fallait faire paraître la revue. Breton, dont les parents avaient appris qu'il avait renoncé à ses études de médecine et qui lui avaient « coupé les vivres » ne pouvait en financer la publication. Nous étions « engagés ». Je venais d'avoir vinght et un ans — et je venais de disposer, après ma majorité, d'un mince héritage. Je proposais à mon ami qui voulait, malgré les difficultés matérielles, publier notre revu, de nous informer des dépenses qu'en représentait l'impression. Nous avions déjà obtenu la collaboration des écrivains qu'à cette époque nous admirions et qui ne pouvaient pas encore publier leurs poèmes (c'était en 1919). Drôle d'époque. Époque incertaine et équivoque. Breton et moi avions remarqué rue de Rennes une imprimerie (c'était dans le quartier que nous connaissions le mieux), l'imprimerie de la Cours d'Appel (drôle de nom). Nous demandâmes un devis. Et le directeur, méfiant (comme on le comprend) nous demanda une avance. Ce que je lui accordais. Ce n'était pas encore l'inflation. Nous établîmes une maquette du premier numéro. Mais nous savions mal calculer. L'imprimeur nous signala que nous nous étions trompés. Une page de trop. Il fallait supprimer un poème. Ce fut mon poème qui fut « sacrifié ». Ce qui explique que mon nom ne figure pas au sommaire du premier numéro de Littérature.

Quand nous avions décidé, André Breton et moi de publier cette revue, André Breton proposa que Louis Aragon qui était à cette époque son meilleur ami, qui était encore mobilisé et résidait en Allemagne, soit un des trois directeurs (on nous appelait ironiquement les trois mousquetaires). J'acceptais avec joie et Louis Aragon aussi. La revue parut à la date prévue. Elle eut plus de succès que nous l'avions espéré. Mais il fallait la déposer chez les libraires. Ce que nous fîmes.

Philippe SOUPAULT.


* « Carte Blanche » ce titre fut repris et copié par Cocteau qui s'en empara pour ses chroniques du journal Paris-Midi.

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