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 MetaWorldBank

MetaWorldBank

Tout a commencé par une fin : la faillite de la Banque Lehman Brothers.
Même si son effondrement fut un phénomène local, l'onde de choc se propagea à l'ensemble du monde. En temps normal, le secteur financier inonde toute l'activité économique de liquidités. Lors du séisme, il provoqua une sorte de tsunami inverse dont la vague négative assécha tout. Dans l'urgence, les autorités des milieux autorisés ont alors ouvert les vannes de quelques réservoirs irréels pour irriguer la planète finance.

C'est dans ce contexte de crise que Jérôme KA perdit son job. Lieutenant efficace d'un autre établissement financier durement touché, il n'avait pourtant commis aucune faute, mais selon le principe du last in first out, sa quarantaine et ses onze ans de loyaux services ne pouvaient pas rivaliser avec quelques autres managers mieux placés dans la firme. Toutefois ses réserves sinon ses objections envers certaines opérations spéculatives outrancières, ne lui avaient pas fait que des amis. Impossible donc de savoir sur quels critères de cost-killing, le Directeur des Ressources Humaines l'avait viré. Dans l'organigramme, le DRH n'avait pas une position supérieure, mais sa fonction était devenue plus essentielle, tandis que Jérôme retournait à sa nature sociale de prolétaire.

À force de fréquenter le pouvoir, on oublie qu'on n'en est que ses serviteurs et l'esprit humain a tendance à occulter sa condition première pour se parer d'on ne sait quelle image de soi, en soi et pour soi. Dans l'exercice de ses hautes fonctions perdues, Jérôme avait pris des décisions qui avaient causé d'identiques conséquences pour de nombreux travailleurs, plus dépourvus, suite aux restructurations exigées, mais les suites de ses choix se passaient loin des yeux loin du cœur et donc loin de sa conscience. Evidemment, Jérôme KA reçu une indemnisation qui ferait envie à bien d'autres travailleurs licenciés, mais on ne pouvait tout de même pas la comparer aux parachutes dorés des top managers.

Jérôme était plongé dans des idées noires quand son smartphone sonna, il avait choisi le son très rond des sonneries qu'on entend dans les films américains du XXe siècle. Il se saisit du pocket computer qui pouvait faire un tas de choses, y compris téléphoner. La firme lui en avait fait cadeau, l'objet étant amorti en un seul exercice comptable, non sans avoir récupéré la carte sim liée à l'abonnement professionnel. Il avait dû rendre également la voiture de société et la carte de fioul qui lui permettait de faire le plein aux frais de la compagnie, avantage parmi d'autres tous envolés. Citadin jusqu'au bout des ongles, il pouvait se passer d'automobile, mais pas d'un téléphone, surtout maintenant. Il avait donc très vite pris un abonnement personnel à une société de télécommunication dont il connaissait parfaitement le bilan et le management. Il savait pouvoir payer ses frais de communication avec le rendement de ses actions télécoms dont il disait à tous ceux qui voulaient l'entendre que ce business est une machine à cash.

C'était Richard Pirrare, son meilleur collègue, surnommé Pitagore ou par le diminutif PI comme le nombre transcendant 3,14159265359... car il jonglait avec les mathématiques financières comme nul autre pareil. Bien qu'ils ne travaillaient pas souvent ensemble, ils avaient tissé des liens d'amitié sans qu'aucun d'eux ne puisse expliquer pourquoi. Il en est ainsi de certains domaines qui échappent à la raison raisonnante et doivent beaucoup à l'infra verbal ou au supra naturel.
La conversation téléphonique n'avait pas duré longtemps, Richard s'inquiétait de son ami et s'étonnait du sort de Jérôme, lequel le rassurait. Richard demandait aussi des nouvelles de Béatrice, l'amie de Jérôme, et comment elle avait pris la nouvelle. Jérôme lui fit part de sa réaction peu chaleureuse, mais ils connaissaient l'animal, un peu tigresse, un peu panthère, elle n'investissait pas trop dans le sentiment. Richard lui assurait de son soutien en cas de besoin avant de mettre fin à laconversation. Jérôme soupira.

Le lendemain matin, Jérôme se réveilla d'angoisse. Un poids lui barrait la poitrine. Il se blottit dans l'édredon en position fœtale. L'idée que la dépression pouvait l'envahir mobilisa quelques forces instinctives et il sauta du lit comme pour échapper à la chute dans un abîme mental. Ce n'est pas le moment de craquer songea-t-il et il prit un calmant dans sa panoplie. Dans la finance, le boulot est assez stressant, on se drogue facilement, mais pas toujours pour le plaisir, ça détend et augmente la concentration, sans exagérer. La vie n'y est pas si facile, seul l'argent y a une vie plus facile. Chaque milliard y a des factotums dévoués qui endossent tous les problèmes inhérents aux investissements.

Bon, inutile de perdre du temps après avoir perdu son emploi du temps au service du capital. Jérôme doit s'inscrire au bureau du chômage. Le bureau était situé en plein centre-ville. Il décida de prendre le métro. Durant le voyage, un mendiant sollicita les voyageurs et Jérôme lui donna un petit billet pour conjurer le sort. Il songea à ce qu'il avait dit à Richard au téléphone et il ria intérieurement. Le passager en face lui jeta un coup d'œil, puis se replongea dans les pages d'une sorte de journal gratuit, mais c'est surtout un support de publicités qui a besoin de l'alibi de quelques informations, pour que les désœuvrés finissent par le parcourir durant leur trajet.

Ironie, le bureau est proche de la station "Bourse" dont l'ombre plane sur tant de restructurations. L'escalator de la station est en panne, il faut monter l'escalier, pas facile pour les vieux ou les mamans avec une poussette. Justement, il en aide une à remonter à la surface. Débouchant sur le boulevard luisant d'une récente fine pluie, Jérôme se dirige vers le bureau du chômage. Sur un banc, un vieux clochard joue de l'harmonica, un chapeau à ses pieds. Décidément le destin s'amuse à lui faire signe, mais on ne sait si c'est pour l'inviter à le suivre ou à le fuir.

Cette première démarche administrative se passa mieux que prévu, car Jérôme s'attendait à quelque situation kafkaïenne. Non, on peut dire que l'administration s'améliore, sans doute sous la pression du modèle des organisations privées qui pourtant sont parfois tout aussi bordéliques. Il était encore tôt et Jérôme choisit de rentrer à pied malgré la longueur du chemin. Il aimait certaines rues qui débouchaient sur des places ressenties comme un décor de théâtre par leurs dimensions mesurées. Dans les rues, les avenues ou les boulevards, Jérôme constata qu'il y avait un nombre impressionnant d'agences bancaires. Il se représentait en pensée l'étendue de ces réseaux qui drainaient l'argent de leur clientèle, c'est-à-dire de tout le monde, d'autant que le gouvernement imposait même que les plus démunis puissent ouvrir un compte dans l'institution de leur choix. Toutes les opérations, depuis le versement des salaires, des pensions et n'oublions pas les allocations de chômage, jusqu'aux achats et paiements en tout genre, passent par les veines de ces réseaux tentaculaires. Il y a bien un peu de liquide qui circule en poche et en caisse à partir des distributeurs de cash, mais ça ne représente qu'une faible proportion par rapport aux masses monétaires répertoriées dans les comptes et les opérations bancaires. Les gens ont pour ainsi dire tout leur argent dans les banques, sans aucun pouvoir sur l'usage qu'elles en font.

Il faut aussi s'inscrire au service local de l'emploi dans les huit jours après le premier jour de chômage, mais pourquoi attendre ? On peut s'y inscrire par internet, mais Jérôme préféra se présenter à l'office pour soumettre son cas particulier au préposé et voir ce qu'il proposerait. Comme le bureau n'était pas très loin de chez lui, il choisit d'y aller à pied. Sur le chemin, il bu un café à la terrasse du Live Central Park.

À l'office il patienta dans la salle d'attente où il trouva à lire un journal quotidien qui titrait justement sur l'emploi des financiers. L'entretien qui suivit mit en évidence la difficulté de lui trouver un emploi équivalent. L'employée lui dit ce qu'il devait faire pour conserver ses droits aux allocations de chômage, malgré qu'elles étaient loin de couvrir ses dépenses. Quand on a un certain niveau de vie, avec des rentrées plutôt confortables, ce n'est pas évident de se retrouver avec des revenus de remplacement plafonnés. Arrivé au terme de l'entretien, il plaisanta en disant qu'il devrait peut-être « fonder sa propre banque ». Sur le retour, l'idée d'une autre sorte de banque lui trotta en tête tout l'après-midi, il cogitait souvent en marchant, c'est stimulant pour l'esprit.

Au terme du parcours désordonné par lequel Jérôme ordonnait paradoxalement ses idées, une force légère mais irrésistible l'avait rapproché de l'appartement de Béatrice. Après avoir sonné sans obtenir de réponse, il entra chez Béatrice avec ses propres clés car elle n'était pas encore là. Elle arriva peu de temps après pendant qu'il contemplait un tableau ancien. Il lui raconta sa journée d'abord au service de l'emploi, qui n'avait rien à proposer d'autre qu'un plan d'action dont il devait lui-même établir le contenu, ensuite sa longue marche à la rencontre de l'idée d'une nouvelle sorte de banque. Étonnée, elle n'avait pas approuvé ce projet jugé trop risqué avant même qu'il puisse s'en expliquer, ce qui l'avait irrité. En réaction, il avait souligné son refus d'un risque qui devait justifier le profit comme une récompense légitime. Mais elle n'était pas prête à miser le moindre euro sur une telle chimère. Jérôme KA lui confia qu'il allait consulter Richard PI pour étudier ensemble le projet, et après lui avoir recommandé la plus stricte confidentialité. Cependant il insista pour qu'elle soit la première à le rejoindre dans la perspective du meilleur emploi de sa vie.

Le matin suivant, Jérôme KA appela Richard PI pour le consulter. Il voulait l'entretenir de son idée. Richard fit donc un saut chez Jérôme après le déjeuner. Entretemps, Béatrice était passée s'excuser pour son attitude de la veille chez elle, mais la conversation tourna à l'aigre et c'est à peine s'il ne la flanqua pas dehors. Richard la croisa en arrivant, il la trouva énervée, mais elle le salua avec courtoisie en vertu de sa bonne éducation. Jérôme fut soulagé de l'arrivée de Richard. Il lui proposa un café. Richard survola les notes sur la table puis l'interrogea sur son fameux projet annoncé. Jérôme se lança dans une explication au terme de laquelle Richard manifesta sa surprise, mais rassura son ami qui prenait cela pour de la réprobation. Cette banque présentait des risques importants surtout dans ce contexte de crise et quand Jérôme demanda s'il accepterait de se joindre à l'aventure que Béatrice refusait, il ne dit pas non, mais proposa d'en rediscuter. Ensuite Richard le questionna sur sa situation. Jérôme résuma ses deux démarches : au bureau du chômage et au service de l'emploi. Il lui raconta que c'est à l'issue du dernier entretien que l'idée de fonder sa propre banque surgit comme un oracle. Cette idée l'avait obsédé peu à peu et il y avait pensé en marchant tout l'après-midi. Richard confirma le potentiel d'une banque pareille et qu'il l'aiderait à y réfléchir, mais que ce n'était pas gagné d'avance. Pour finir, ils décidèrent de se revoir le dimanche pour approfondir la question.

Durant le reste de la semaine, Jérôme examina les lois et les règlements relatifs aux établissements bancaires en vigueur en Europe et en particulier en Belgique, puisqu'il envisageait d'installer le siège social de sa banque à Bruxelles. Ce choix était dicté par la position européocentrique de la capitale et le voisinage avec les institutions européennes et les lobbies qui gravitaient à l'entour. La proximité de Paris et d'Amsterdam était considéré comme un plus. Londres était un must, mais hors de prix pour débuter.

Béatrice lui téléphona et glissa dans la courte conversation une invitation à venir partager son repas le soir chez elle. Jérôme accepta et promis d'apporter une bonne bouteille. Elle précisa alors que ce serait du poisson afin d'orienter sa sélection pour du vin blanc sec. C'est au cours de cette soirée que Jérôme reçu la business card de Teresa Avila Longhi, une riche héritière amie de Béatrice.

Comme prévu lors de la consultation, Richard arriva chez Jérôme de bon matin. Après avoir avalé un expresso et croqué un croissant, il entama la conversation. Mais Richard commença par faire état de l'insuffisance des capitaux disponibles et des difficultés inhérentes à l'établissement de cette nouvelle banque. Il plaida donc pour une stratégie plus progressive qui procèderait par étapes. Il préconisait de commencer par fonder une société d'investissement de type hedge fund et de faire du trading directement avec le capital disponible dès que possible. L'idée était de profiter de la faiblesse des marchés financiers pour vendre à découvert le secteur bancaire et tout autre secteur affaibli par la crise. Richard PI expliqua que sa fonction dans la finance l'avait conduit du trading algorithmique au High Frequency Trading, abandonné ensuite, pour finir par mettre au point son systemPI de trading optimal beaucoup plus simple, mais très efficace. Quand enfin Richard questionna sur une participation éventuelle de Béatrice, dans la perspective de cette nouvelle approche plus prudente, Jérôme lui expliqua qu'elle préférait rester à l'écart et qu'elle l'avait quasi viré de sa vie.

Mais Jérôme revint sur la question de sa nouvelle banque, en évoquant la possibilité de racheter une petite banque, déjà établie, afin de bénéficier de sa licence. Et ensuite de développer sur cette base, sa nouvelle stratégie bancaire... Richard approuva cette approche du problème. Il confirma aussi son soutien à l'aventure, au grand soulagement de Jérôme. Richard récapitula alors le mode opératoire : commencer par créer une société d'investissement, un hedge fund pour se constituer un capital initial suffisant... S'en souvenant subitement, Jérôme annonça que Béatrice lui avait tout de même donné la business card de Teresa Avila Longhi et qu'il allait la contacter. Richard en conclu le lancement du challenge.

Le lendemain, lundi matin, à l'idée de contacter cette riche héritière, Jérôme fut pris d'une étrange timidité qui lui était pourtant peu coutumière. La difficulté lui apparaissait de devoir la convaincre dès l'abord, ou tout au moins susciter assez d'intérêt pour obtenir un premier rendez-vous. À cette fin, Jérôme composa un petit résumé qu'il pourrait utiliser à l'occasion d'un premier contact.

Il pensa tester ce résumé sur une ancienne relation d'affaires extraite de son carnet d'adresses : un certain Charles-Édouard D. de S. (qui a préféré rester anonyme). Au téléphone, Charles-Édouard lui fit un accueil amical, puis ensuite plus professionnel au fur et à mesure que Jérôme déroulait son résumé qui finit par piquer la curiosité de son interlocuteur. Charles-Édouard l'invita illico à une rencontre discrète. Ils convinrent d'un rendez-vous à Bruxelles, car c'était dans la capitale de l'Europe que ce business angel exerçait ses talents.

Sans attendre, Jérôme boucla sa Bleisure Valise Samsonite et réserva un aller-simple sur l'Eurostar. Arrivé à la gare du Midi, il devait prendre un autre train traversant la jonction Nord-Midi pour rejoindre la gare centrale près de laquelle se trouvait son hôtel. Le lendemain, Jérôme se rendit au Chalet Robinson, le lieu du rendez-vous. La rencontre fut plutôt positive, et après avoir évoqué les circonstances de sa situation, Jérôme enchaîna avec l'explication du projet de sa banque et du hedge fund initial. Charles-Édouard, dubitatif, se réserva un délai de réflexion, mais cette prudence était assez prévisible après tout. Il promit de le recontacter bientôt...

Fort de cette entrevue prometteuse, Jérôme osa enfin contacter Teresa Avila Longhi dont Béatrice lui avait donné la business card. Elle logeait à l'hôtel Métropole à Bruxelles où elle l'invita à une rencontre sollicitée par Jérôme « afin de lui faire part d'une affaire qui pourrait l'intéresser » lui avait-il suggéré. La rencontre eut lieu dans le bar ‘Le 31’ de l'hôtel. Jérôme évoqua leur amie commune Béatrice Bishop pour introduire la possibilité que son interlocutrice puisse être intéressée par son projet. Teresa Avila fut surprise par l'explication qu'il lui fit. Elle trouva l'entreprise aussi passionnante que risquée, et elle finit par être tenter par l'expérience. Tout ceci l'avait mise en appétit et elle lui proposa de dîner en compagnie de son amie Tosca Osborn avec qui elle avait rendez-vous à la Taverne du Passage. « Je suis curieuse de savoir ce qu’elle pensera de votre affaire » conclut-elle.

Il n'y a pas loin de l'hôtel au restaurant, Teresa Avila et Jérôme passèrent devant le Théâtre de la Monnaie qui abrite l'Opéra, ce fut l'occasion pour Teresa d'expliquer l'origine lyrique du prénom de son amie Tosca dont le père, amateur d'opéra, adorait la Tosca de Puccini. Jérôme en profita pour revenir sur le prénom de Teresa Avila. Elle l'estimait ingombrante, fantaisie de sa mère, bigotto indecrotabile. C'est au cours de cette conversation qu'il apprit que son père ne pouvait pas vivre ailleurs qu'à Venise où elle-même était née et y avait vécu toute son enfance.

Ils arrivèrent les premiers au restaurant où le maître d'hôtel fit ajouter un couvert à la réservation des deux amies, car la table pouvait en accueillir quatre sans problème. En attendant Tosca Osborn, ils dégustèrent un apéro avec le champagne prévu pour le dîner. Teresa Avila revint encore un peu sur l'audacieux projet de Jérôme. Il invoqua la nécessité d'entreprendre quelque chose, car il lui semblait impossible de retrouver un job similaire quand tant d'autres financiers cherchent une place tous en même temps. Il expliqua de le hedge fund devait leur permettre, à lui et à Richard PI, de réunir un premier capital suffisant pour l'établissement de la banque proprement dite. Teresa l'interrogea sur la capacité de performances régulières, mais il lui révéla que Richard avait mis au point un systemPI de trading optimal qui devait leur permettre de battre le marché tant à la hausse qu'à la baisse, c'est-à-dire une gestion dite alternative en exploitant les tendances haussières ou baissières des prix des actifs.

Sur ces entrefaites, la majestueuse Tosca Osborn entra dans le restaurant. Elle salua Jérôme d'une poignée de main et se laissa tomber sur la banquette à côté de Teresa Avila dont elle baisa les lèvres. Les deux femmes manifestaient une complicité amoureuse qui n'échappa pas au regard de leur invité. Présenté comme « l'homme qui va révolutionner la banque », Jérôme du reprendre volontiers ses explications qu'il introduisit en invoquant les GAFAM ou l'action collaborative d'une collectivité à l'exemple de Wikipédia. Il précisa encore que leur hedge fund sera une première étape à l'établissement de la nouvelle banque, en constituant un capital à la hauteur des besoins d'une telle entreprise financière. Il invita donc les deux femmes à investir dans ce qu'il qualifia d'«un premier pas pour la banque qui ferait faire un bond de géant à l'humanité ! ». Mais si Tosca Osborn avait bien une agence de publicité, elle n'avait ni les moyens ni « un riche papa », dit-elle en se tournant vers Teresa Avila Longhi. Celle-ci sortit de sa réserve et invita Jérôme à rencontrer son père à Venise, tandis qu'elle demanda à son amie de préparer un plan de campagne publicitaire pour intéresser de riches investisseurs. Rendez-vous fut pris au lendemain pour s'envoler vers Venise. De retour à son hôtel, Jérôme fit un rapport à Richard au moment même où il recevait un texto de Teresa, lui indiquant l'heure du vol et donc d'être « à l'aeroporto vers 13h ».

Jeudi, vers midi, Jérôme KA et Teresa Avila Longhi prirent le train pour Brussels Airport non loin de la ville. Après avoir patienté dans le lounge de la compagnie, ils se présentèrent à la porte d'embarquement. Enfin, quand tous les autres passagers furent embarqués, Teresa et Jérôme prirent place tout à l'avant de la cabine en business class. Pendant le décollage, Teresa Avila profita de l'intensité physique de l'accélération pour serrer fort la main de Jérôme.

Le vol vers Venise dura environ une heure et demi, ils en profitèrent pour manger une légère collation agrémentée d'une boisson. La descente sur la lagune offrait le mirage de la cité posée sur l'eau par miracle. À nouveau, Teresa Avila saisit la main de Jérôme à l'atterrissage. Après avoir récupéré leur unique bagage, ils se dirigèrent sur le quai où l'attendait le motoscafo de la compagnie de bateaux taxi dévouée à la famille, depuis que le père de Teresa les avait aidés financièrement en 1976. Polo le pilote, un ami d'enfance de Teresa, les installa en cabine. Ensuite, le motoscafo prit la direction de Venezia à vive allure.

Dans les canaux de la ville, la vitesse est limitée a passo d'uomo pour éviter les remous préjudiciables aux édifices. Le taxi traversa une portion de la ville pour déboucher à San Zaccaria, puis il prit la direction du canale della Guidecca en traversant le Bacino San Marco. Passant sous le ponte Lungo, il emprunta un petit bout du rio de San Trovaso avant de s’engager dans le rio del Ognissanti, sur lequel donne la porte d’eau du palais de Luchino Longhi : le père de Teresa Avila.

Ils furent accueillis par Julietta, la femme factotum de la maison, qui les installa dans leur chambre. Après s'être rafraîchie pour l'une et assoupi pour l'autre, Teresa Avila emmena Jérôme dans le piano nobile où ils dégustèrent un verre de prosecco en attendant le retour du père, partit en visite... Après quelques instants, Luchino Longhi fit une entrée aristocratique et de suite asticota sa fille sur son « nouvel amant ». Toute protestation fut vaine, le père connaissant bien sa fille. Elle présenta Jérôme comme un financier qui se proposait de créer une nouvelle banque. Une banque !! Cela n'avait pas ses suffrages et il fallu présenter les choses de la meilleure manière pour qu'il accepte d'en discuter, mais de préférence le lendemain...

On passa à table pour le repas du soir préparé par Julietta. La conversation tourna autour des activités philanthropiques du père qu'il consacrait aux habitants de Venise confrontés au tourisme envahissant. Il s’inquiétait aussi de la montée des eaux au-dessus des pierres d’Istrie, cette rangée de pierres à la base des édifices qui isolait les murs de l’humidité ascendante. Le signore Longhi était intarissable sur tous ces problèmes qui transformaient cette cité paradisiaque en un enfer programmé par la logique de son attrait et de sa singularité urbanistique. Mais pour affronter tous ces fichus démons, Teresa Avila avisa qu'ils feraient mieux d'aller tous se coucher. On remercia de l'accueil, du repas et on se dit bonsoir avant de rejoindre sa chambre. Teresa Avila conclut en rassurant Jérôme quant à la rencontre avec son père, compte tenu de son caractère. Elle lui déposa un baiser sur les lèvres et disparut dans la salle de bain.

Difficile de dormir pour Jérôme, la perspective de devoir convaincre le père agitait son sommeil de mauvais rêves. Il se leva pour se rendre aux toilettes et se passer de l'eau sur la visage. Au retour vers sa chambre, Teresa Avila sortit de la sienne et se soucia de son état. Rien de grave, juste une insomnie due à de mauvais rêves... Elle l'entraîna dans sa chambre en déclarant : « Venez, je vais vous soigner ça ! ». La méthode tenait moins de la médecine que de la sensualité, voire de la sexualité, car elle l'embrassa à pleine bouche et, constatant l'effet de ses bons soins sur le membre viril de l'homme, elle l'attira à elle, sur le lit. Il tenta bien de se dérober, mais il dut céder aux ardeurs de la femme qui, selon le père : « ne pouvait pas résister à un si bel homme ». L'insomnie de l'homme fut dissipée au terme de l'exercice érotique, tandis que la femme, semblant y avoir puisé un surcroît d'énergie, prit un selfie d’elle avec lui endormi à ses côtés dans le lit et l’envoya à son amie Tosca avec comme légende : « Timide, mais bon amant ! ».

Le matin, après le petit déjeuner, Teresa et Jérôme firent une balade à Dorsoduro, en attendant que le père Luchino Longhi soit levé. Le Dorsoduro est un sestiere, un des six quartiers de Venise, où se trouve le palais des Longhi. Sur la Fondamenta Zattere, un peu au-delà du Ponte Lungo, ils visitèrent la Chiesa di Santa Maria del Rosario, pour y admirer le plafond de la nef centrale peint affresco par Tiepolo : « L'istituzione del Santo Rosario ». Ensuite Teresa Avila entraîna « son nouvel amant » sous le sotoportego e corte venier dal leoni pour y découvrir une testa d'angelo qui émerge du mur de l'impasse. Jérôme souligna la poésie qui s'en dégage, alors Teresa Avila attira son attention sur la poésie concrète de deux piliers de pierres de part et d'autre du ponte del Formager. Normalement ces pierres blanches du garde-corps sont rugeuses, sauf ces deux-là ; l'une est lisse comme un sein de femme car ce sommet du pilier a été caressé par mille mains ; l'autre présente une petite bosse tout aussi doux qu'un téton.

Ils franchirent le pont et passèrent sur l'autre rive du rio de le Toresele moins fréquentée. En face de la Peggy Guggenheim Collection, elle raconta comment jadis les enfants du quartier pouvaient venir y jouer dans le jardin, les visiteurs étant moins nombreux à l'époque. Elle pouvait aussi aller jouer sur la Fondamenta Salute et sur les marches de la Basilica di Santa Maria della Salute construite au XVIIe siècle. Le plan de cette basilique n'est pas cruciforme comme d'habitude avec une nef centrale. Ici, au centre, il y a un grand cercle vide cerné d’une colonnade et, tangent à ce cercle, un plus petit cercle forme le chœur, avec son maître autel, surmonté de la sculpture monumentale de la Salute qui défend Venise de la peste. Après avoir parcouru la rotonde avec ses six chapelles, ils ressortirent et prirent à la volée le vaporetto qui venait d’accoster, pour s'avancer jusqu'ala prossima fermata sous le pont de l'Accademia. De là, le couple, bras dessus bras dessous, prit le rio Terrà Foscarini pour revenir à Zaterre. Ils regagnèrent le palais pour voir si le père était levé et prêt à entendre les propositions de Jérôme KA.

Après son petit déjeuner, Luchino Longhi s'était installé au salon pour lire un livre : Histoire du Ghetto de Venise, un des meilleurs livres sur le sujet, de Riccardo Calimani. Lorsque Teresa Avila et Jérôme rentrèrent de leur balade à Dorsoduro, il leur parla de cette histoire qui le passionnait. Il rappela qu'en 1516 les Juifs furent confinés dans l'île du Getto, que les Juifs d'origine allemande prononçaient Ghetto. Cette île du Cannaregio abritait les fonderies de cuivre dont les scories et autres résidus de fonte étaient jetés sur la place, d'où elle tire son nom. Chaque soir, le Ghetto était fermé par deux portes gardées par des Chrétiens payés par les Juifs eux-mêmes.
Ce n'est qu'en mai 1792, avec l'émancipation française, que Napoléon Bonaparte ordonna la destruction des portes et la libération des Juifs qui purent s'installer dans les autres quartiers de Venise et s'intégrer à la vie politique et civile, afin de devenir Vénitiens parmi les Vénitiens. Malheureusement, en octobre 1797, les Français durent céder la ville aux Autrichiens et à nouveau, les Juifs subirent de nouvelles restrictions ; cependant les portes du Ghetto ne furent jamais rétablies. La conversation porta ensuite sur les Juifs banquiers et magré que ce métier était mal vu, il répondait aux nécessités de financement. L'Église catholique condamnait le prêt à intérêt, tandis qu'il était autorisé en religion juive, et elle leur abandonna donc cette fonction, tout en la discréditant. L'hypocrisie était d'autant plus criante qu'il était interdit aux Juifs d'exercer les métiers manuels. On évoqua quelques anecdotes historiques, comme leurs financements ruineux des luttes politiques pour l'unification de l'Italie lors du Risorgimento ; ou comme celle de la famille Errera qui put acquérir le palais de la Ca' d'Oro pour y installer sa banque et sa famille ; et dont un fils partit s'intaller à Bruxelles, où il y deviendra également banquier dans cette Belgique en plein développement industriel.

La Transition était parfaite, on en vint donc tout naturellement à parler du projet d'une nouvelle banque proposé par Jérôme. Il s'appliqua à convaincre Luchino Longhi du bien-fondé de cette nouvelle sorte de banque, par laquelle la clientèle pourrait garder le pouvoir sur l'usage de son argent. Il lui donna toutes les explications sur les raisons et les fins de cette entreprise financière. Et il répondit tant bien que mal aux réserves, voire aux objections du père de Teresa Avila. Finalement, Luchino Longhi expliqua qu'il disposait d'abondantes liquidités, suite à des dégagements automatiques de ses actifs financiers, au cours de la chute des valeurs boursières, lors de la crise. Les incertitudes du moment l'ayant dissuadé de les replacer trop vite, préférant attendre un peu de voir les marchés sur un meilleur momentum. Après une réflexion, assez courte toutefois, il décida d'investir une partie de son capital dans le hedge fund que Jérôme allait fonder, comme première étape de la constitution du capital initial de la MetaWorldBank. Ce fut une bienheureuse surprise pour Jérôme qui ne s'attendait pas à une si rapide issue. Luchino Longhi répartit ce capital en trois parts, la sienne, celle de sa fille et la dernière pour Jérôme lui-même, en le mettant au défi de rembourser cette dernière part en la doublant en cinq ans... Une si importante décision ne sembla pas avoir coupé l'appétit de Luchino Longhi et il les invita à dévorer le repas que Julietta avait préparé pour le déjeuner. Presto in tavola. Versa il vino : eccellente marzimino ! Le trio s'enivra du bon vin... nunc est bibendum, nunc pede libero pulsanda tellus.

Après la sieste, écourtée par un désir charnel de la femme auquel l'homme consentit bien volontiers — ils ne dormirent pas tout de suite — la charmante princesse tenta de réveiller le bel endormi terrassé par l'orgasme — Jérôme avait croqué la pomme d'amour de la belle sorcière — ; elle dû insister malgré ses baisers jusqu'à ce que la sonnerie de l'iphone arriva enfin à le sortir du sommeil — par un réflexe plavlovien de cadre dynamique — ; Jérôme compléta son réveil sous un douche d'eau fraîche qui agit sur son sexe de façon inversement proportionnelle à la chaleur de Teresa qui ria de son zizi riquiqui.

Au salon du piano nobile, Luchino Longhi les attendait et présenta un contrat à Jérôme pour sceller l'accord passé le matin. Rapide et résolu le Longhi se dit Jérôme qui accepta les termes du contrat d'autant qu'ils respectaient la simplicité de la proposition. On prit les dispositions pour la suite : installation du siège à Bruxelles, ville à vocation européenne, voire internationale ; agréments et établissement du hedge fund ; instructions pour le versement des fonds du capital initial ; et tutti quanti...

Luchino Longhi prit congé pour un rendez-vous à l'extérieur en promettant de les saluer avant leur départ prévu le lendemain pour un vol aux environs de midi que Teresa se chargea de réserver. Jérôme s'avisa de la nécessité d'envoyer illico un message à son ami Richard PI pour l'informer des derniers développements. Puis le soir même, après avoir dégusté un délicieux spaghetti al sugo di pomodoro fatto in casa, Jérôme s'isola dans sa chambre pour téléphoner à PI, tandis que Teresa Avila s'allongea dans le canapé pour contacter son amie Tosca.

Le matin suivant, ils prirent un abondant petit-déjeuner, auquel se joignit le père. Celui-ci fut un peu provocateur, il lança à Jérôme un soupçon d'escroquerie qui lui était passé par l'esprit durant la nuit. Jérôme y répondit très calmement en mettant l'accent sur la confiance, qui est le fondement de toute relation d'affaires. Alors, le Signore Longhi lui demanda très formellement s'il pouvait lui faire confiance, auquel Jérôme lui assura totalement cette confiance et l'interrogea s'il fallait qu'il épouse sa fille pour confirmer leurs accords. Là-dessus, Luchino partit d'un grand rire en joignant la main de Jérôme avec celle de sa fille en un geste affectueux.
La surprise passée, ils prirent congé, saluèrent le père et Julietta qui essuya une larme.
Le motoscafo de la Cooperativa Serenissima taxi prit la direction de l'aéroport. Vol direct VCE — BRU sans histoire, taxi jusqu'à l'hôtel Métropole où l'on enregistra Jérôme qui fut ajouté sur la chambre de Teresa. Repos...

De retour à Bruxelles, pour commencer, Jérôme rechercha un immeuble pour leurs bureaux et accessoirement pour y loger. À ce propos, Jérôme évoqua une page du roman « Que faire ? » du Russe Tchernychevski, qui raconte comment les ouvrières de l'atelier de Véra Pavlovna se mirent à habiter ensemble dans un grand appartement pour optimiser leurs achats. Sur quoi Teresa n'était pas très convaincue de la perspective de cette vie collective autour du travail, devenant une sorte de pôle central de l'existence. Jérôme n'exigeait rien de semblable, juste une cohabitation dans des espaces privatifs, complétés d'espaces communs.

Un bâtiment recueillit leur suffrage et Teresa se chargea d'un rendez-vous pour une visite dès lundi. On décida d'une réunion le vendredi, afin de permettre à Richard de rester le week-end. L'hôtel offrait une salle de réunion et une salle de conférence. On réserva la salle de réunion pour le vendredi midi, déjeuner compris. Au cours de la semaine Jérôme alla consulter un notaire afin de constituer la société du hedge fund...

À la fin de la semaine, Richard s'en vint à Bruxelles par l'Eurostar. Jérôme l'accueillit avec joie. Il raconta un épisode du voyage, il avait conversé avec une femme d'affaires, installée en face de lui dans le train. Ensuite Jérôme présenta Teresa Avila à son ami. D'autorité, elle lui imposa un baise-main, mais se montra vite plus familière et l'interrogea comme de coutume sur le voyage. Richard repartit sur l'anecdote de sa rencontre avec la femme dans le train et conclu par un « J'vous raconte pas ! » qui amusa les deux amis au grand étonnement de Teresa. Instruite par Jérôme, elle comprit la blague. Puis elle entraîna les deux garçons à la réunion où ils pourront déjeuner. Tosca Osborn les rejoindra dans quelque temps ...

Teresa Avila, Richard et Jérôme gagnèrent la salle de réunion où le service d'étage avait apporté une desserte avec des plats froid en guise d'entrée. Tosca arriva ensuite. Elle se montra très froide à l'égard de Jérôme qu'elle considérait comme un rival pour l'amour de Teresa. Et elle n'embrassa celle-ci que du bout les lèvres. Mais elle se montra plus souriante envers Richard dont elle souligna la réputation d'expert en mathématiques financières. Richard ravi de faire sa connaissance, lui demanda si elle pouvait les aider dans la promotion de leur affaire. Elle confirma que c'est la raison de sa présence et que s'ils créent une affaire, elle peut en réaliser la communication.

Après les salutations, Jérôme invita tout le monde à passer à table. Le repas contribua à détendre l'atmosphère. L'évocation de l'anecdote de la rencontre de Richard avec une femme d'affaires dans l'Eurostar finit par l'inévitable « J'vous raconte pas ! », ce qui interloqua Tosca. Mais elle aussi s'en amusa quand Richard lui en expliqua le joke. Jérôme se rassura de son changement d'humeur... À la fin du déjeuner, il proposa de porter un toast à leur aventure. Teresa enthousiaste l'imita, mais les verres restèrent vides comme l'unique bouteille car il fallait mieux qu'ils restent sobres pour la suite...

Pour suivre, Jérôme résuma la situation. Son capital et celui de Richard étaient insuffisants pour lancer une banque ou seulement une société d'investissement. Son amie Béatrice n'avait pas voulu prendre part à son projet de banque, trop risquée à ses yeux. Toutefois elle lui avait donné le numéro de téléphone d'une amie, Teresa Avila, en pensant qu'elle pourrait peut-être l'aider, car son père Luchino Longhi est un riche homme d'affaires vénitien. Jérôme l'avait contactée, l'avait rencontrée et elle l'avait invité à dîner à la Taverne du Passage où elle avait rendez-vous avec Tosca. Les explications répétées à Tosca ont incité Teresa à lui faire rencontrer son père à Venise. Grâce à elle, il avait pu rencontrer son père et le convaincre de financer son hedge fund. Il expliqua que Luchino Longhi va investir 300 millions €, qu'il va donner 200 millions € à sa fille Teresa, et qu'il va lui confier 100 millions € à faire fructifier à un taux ambitieux. Richard précise que c'est un objectif difficile mais réalisable, d'autant si on lui reporte une partie des gains de l'ensemble du capital. Tosca se montre sceptique quant à la générosité de Longhi. Jérôme lui retorque qu'ils n'ont pas le choix, car ce capital initial est vital pour démarrer la société et payer les frais durant au moins les deux premières années.

Jérôme profita de l'intervention de Tosca pour lui demander comment elle envisage sa participation. Elle lui répondit qu'elle rejoint le groupe par amitié pour Teresa et parce que leur projet peu commun l'intéresse. Et aussi parce qu'elle aime les défis et celui-ci est séduisant. Mais elle ajoute qu'elle ne peut pas entrer au capital de la société pour l'instant car elle doit gérer sa propre société de marketing. Elle proposa donc de plutôt leur fournir un support marketing en externe.

Jérôme en conclut : Teresa, Richard et lui formeront le trio de la société et Tosca les soutiendra par ses propres moyens, selon le principe de chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins, comme il le dit dans son explication. Comme une certaine tension montait dans les échanges, Teresa essaya de calmer le jeu en résumant l'accord : chacun participe selon ses possibilités et Tosca pourra les aider tout en préservant son business. « N'est-ce pas ma chérie ? »

Jérôme aborda la question de la répartition des responsabilités. Il prendrait la direction générale, administrative et sociale. Richard aurait la responsabilité de la mise en œuvre de son SystemPI, dont la gestion de l'infrastructure technique qu'il mettra en place avec ingénieur et informaticien. Teresa devrait réviser son droit pour assumer les aspects juridiques de l'entreprise et elle pourrait aussi gérer le personnel et les rémunérations. Pour le reste, il lui semblait préférable d'externaliser les services occasionnels ou récurrents tels que la comptabilité, les avocats, un audit et le marketing comme avec Tosca par exemple. « Ça vous va ? » termina-t-il sans trop attendre d'objections.

Richard rappela qu'il avait conservé son job, épargné par la crise car il était considéré sans doute indispensable dans la structure qui l'employait. Si l'affaire prend tournure, il démisionnera de ses fonctions pour se consacrer au fonctionnement du hedge fund. Il dit disposer de liquidités qu'il peut apporter au capital de l'entreprise et revendre son appartement s'il vient habiter à Bruxelles.

Là-dessus, Jérôme expliqua qu'il était en train de négocier l'achat d'un bâtiment pour loger le siège, les bureaux, une salle d'opérations, l'informatique et qu'il serait même possible d'aménager des appartements dans les étages pour y habiter ; avec des espaces privatifs et communs. Comme Teresa ne se voit pas cohabiter avec tout le personnel, Tosca l'invita à habiter chez elle. Mais Teresa déclina car elles ont déjà essayé de vivre ensemble... Tosca déçue la prévient de ne pas venir se plaindre de la vie communautaire avec Jérôme et toute sa compagnie ! Mais selon lui ceci est secondaire, chacun habitera où et comment il voudra, c'est juste une possibilité.

Le principal enjeu est la collecte de capitaux auprès des investisseurs pour lesquels les pédigrés de Jérôme et Richard ne sont pas inconnus. Il faudrait le plus vite possible dépasser le milliard d'actifs sous gestion. Un minimum pour commencer car ils seront en concurrence avec les grands hedge funds qui gèrent d'énormes capitaux. La chance pour de nouveaux gestionnaires est que les grands fonds sont souvent fermés à de nouveaux entrants de sorte qu'ils doivent se tourner vers ces nouveaux venus. L'idée est d'accorder une ristourne sur les frais de gestion et de performance. Au lieu de la règle des « 2 et 20 », 2% de frais de gestion et 20% sur les performances, on abandonnerait un pourcentage dans le partage des revenus. Tosca objecta que si on accorde des réduction aux premiers, les suivants pourraient exiger le même tarif. Jérôme expliqua que cette politique doit être adaptée à la chronologie en fonction de l'évolution de la collecte des capitaux. Au départ, ce ne sera valable que pour les premiers entrants qui auront pris le plus de risques. La question essentielle est à quelle vitesse peut-on augmenter les actifs sous gestion pour atteindre une taille institutionnelle ?! Même si cela implique un compromis sur le taux de rentabilité, car il faudra bien collaborer avec des accélérateurs pour lever les premiers capitaux et attirer d'autres investisseurs, y compris des fonds de pension, des fonds souverains, des banques, des assurances ou encore des family offices. Le montant du ticket d'entrée pour ces investisseurs se situerait entre un et cent millions. L'idéal serait que chaque nouvel entrant nous apporte deux autres investisseurs, afin de produire une progression géométrique comme dans la légende de l'échiquier de Sissa.

Teresa demande de la raconter. Jérôme raconte alors qu'un roi en Inde, qui s'ennuyait à la cour, demanda la création d'un jeu pour se divertir. Sissa inventa les échecs, ce qui enchanta le roi qui voulait le remercier en lui offrant une récompense aussi fastueuse qu'elle soit. Sissa demanda simplement qu'on place un grain de riz sur la première case du plateau de jeu, puis le double à chaque case suivante. Cette demande, jugée très modeste, se révéla vite impossible à satisfaire lorsque l'on réalisa qu'il fallait un nombre astronomique de grains de riz, atteignant 2 exposant 63 sur la dernière des 64 cases.

Jérôme enchaina pour conclure que si chaque participant au hedge fund pouvait en amener deux autres, ça pourrait progresser très vite, même si l'on devait sauter quelques cases, d'autant que le nombre de clients potentiels n'est pas infini à l'image des grains de riz. Les premiers investisseurs auront un avantage qui diminuera au fur et à mesure des nouveaux venus... On pourra abandonner une moitié de notre marge à un audacieux preneur de risque qui sèmera les graines d'une prochaine récolte, car l'argent attire l'argent. Ainsi on atteindra plus vite la masse critique nécessaire des actifs sous gestion. Et tous ces capitaux collectés devront être investis parfaitement pour générer des rendements supérieurs. Si on arrive à satisfaire les attentes des investisseurs, cela fera boule de neige.

Côté gestion, il est recommandé de disposer de deux ans de trésorerie pour assurer le fonctionnement de l'entreprise, avant de pouvoir compter sur les revenus générés par les frais de gestion et les performances. Il est crucial de pouvoir répondre aux attentes des premiers investisseurs, même si cela implique de réduire les marges, afin de prouver la capacité à tenir les promesses de notre stratégie d'investissement. Il sera essentiel de démontrer notre aptitude à produire de l'alpha avec une volatilité minimale pour atteindre nos objectifs.

Tosca fit remarquer que, bien que des investisseurs puissent être disposés à considérer une startup, ils sont davantage attirés par les grandes sociétés d'investissement bien établies. Pour un investisseur, allouer des fonds à des hedge funds renommés est une décision plus sûre, car elle est facilement approuvée et comporte moins de risques. En revanche, investir dans un hedge fund avec une stratégie innovante, comme celle d'un Système PI ou autre, présentera un risque beaucoup plus élevé. Tosca s'interrogait donc sur qui serait vraiment prêt à prendre ce risque.

Jérôme lui répondit que si cette réticence constitue une véritable difficulté, le succès des grands gestionnaires de hedge funds réputés, crée en fait des opportunités pour les nouveaux acteurs du marché. En effet, lorsque ces grands fonds atteignent une certaine capacité, ils cessent d'accepter de nouveaux investisseurs, ce qui laisse la place à de nouveaux hedge funds dirigés par des gestionnaires expérimentés. Ces nouveaux fonds peuvent alors attirer des milliards de capitaux en quête de rendements supérieurs, notamment dans un contexte économique où les taux d'intérêt des actifs plus sûrs, comme les obligations, sont en baisse. La crise économique exercera une pression sur ces taux, rendant les investissements sécurisés moins rentables, ce qui poussera les investisseurs qualifiés à rechercher des alternatives plus lucratives, même si celles-ci comportent plus de risques.

Évidemment les investisseurs aiment allouer leurs capitaux à des gestionnaires qu'ils connaissent, au moins de réputation. Ils seront plus à l'aise avec des professionnels auxquels il peuvent allouer leurs capitaux à un stade précoce en toute confiance. Les carnets d'adresses de Jérôme et Richard contiennent un tas de gens qui pourraient être intéressés et qui les connaissent déjà. Ils devraient pouvoir leur expliquer en un seul entretien, ce qu'ils vont faire, comment ils vont le faire et pourquoi ça peut marcher.

Lors de la discussion, Tosca prit l'initiative de proposer une idée de nom pour leur fonds, qu'elle a élaborée après leur rencontre à la Taverne du Passage. Elle expliqua qu'en combinant son propre nom avec ceux de ses amis, KA pour l'un et PI pour l'autre, et avec les initiales de son nom et de celui de Teresa, elle avait trouvé "KA PI TO TAL". Cette proposition suscita un vif enthousiasme. Teresa applaudit l'idée. Elle la trouva géniale, tandis que Richard acquiescait, soulignant que le nom résonnait bien et incarnait leur ambition collective.

Cependant, une préoccupation émergea concernant l'originalité propre à ce label. Tosca révèla qu'il existait déjà, mais que son utilisation se limitait à un concept d'un écrivain belge communiste. Mais même si le nom n'était pas déposé, cela soulèvait des questions éthiques et pratiques. Jérôme exprima son inquiétude quant aux complications potentielles que pourrait engendrer l'utilisation d'un nom déjà présent dans le domaine littéraire, insistant sur l'importance de respecter les créations des autres, même si eux poursuivaient d'autres objectifs dans le domaine financier.

Teresa, toujours optimiste, tenta de minimiser le problème en affirmant que puisque l'écrivain est communiste, alors il n’y aurait pas de droit de propriété sur le nom, ce qui pourrait permettre un partage de son utilisation. Toutefois, Jérôme resta ferme sur sa position, arguant que l'usage d'un nom déjà existant pourrait mener à une confusion des genres, ce qui nuirait à leur image et à leur projet.

Tosca, bien que très fière de son idée initiale, comprit les réserves soulevées et se montra ouverte à d'autres suggestions. Richard proposa alors "System PI fund", un nom qui faisait référence à son propre système de gestion. Il affirma qu'il ne semblait pas y avoir d'autres usages de ce nom, ce qui pourrait le rendre plus acceptable. Ce nouvel intitulé fut accueilli avec intérêt, mais la discussion prit un tournant en soulignant que, bien que le nom soit une question importante, elle ne devait pas prendre le pas sur les autres priorités de leur projet. Finalement, ils convinrent que la question du nom pourrait être revisitée ultérieurement, laissant la discussion ouverte pour le futur.

Pour conclure la réunion et afin de structurer la création d'une société, Jérôme insista d'abord sur l'importance de mettre en place une structure juridique, en soulignant qu'il faudra contacter des prestataires extérieurs. Il avait déjà engagé un notaire pour établir et enregistrer les statuts de la société, mais il restera à trouver un cabinet d'avocats spécialisé en droit des affaires pour rédiger les documents réglementaires, ainsi qu'un cabinet comptable et un cabinet d'audit. Il invita Tosca à prendre en charge le marketing comme elle l'avait proposée. Il se demandait s'il fallait des administrateurs externes ou s'ils pouvaient l'être eux-mêmes. Teresa fut chargée de contacter un cabinet d'avocats pour gérer les aspects légaux et voir si des administrateurs externes seront nécessaires. Richard, de son côté, devra trouver un courtier qualifié et s'occuper de l'installation des systèmes matériels et logiciels, avec une équipe d'ingénieurs et d'informaticiens. Cependant, Richard précisa que ces installations ne pourraient commencer qu'une fois la société établie, le bâtiment acheté, et après qu'il ait démissionné de son emploi actuel. Jérôme, quant à lui, se proposait de rédiger le business plan et de rassembler tous les documents pour le notaire. Avant que Richard ne parte, Jérôme lui demanda une copie de son passeport. Ils convinrent de se revoir le mois suivant pour faire le point. La réunion se termina dans un climat enthousiaste bien arrosé, chacun étant satisfait des progrès accomplis et prêt à passer à l'action.

à suivre ...


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