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Envol vers Venise

Vers Midi, Teresa Avila Longhi et Jérôme se mirent en route pour Brussels Airport. Bien que la STIB proposait une Airport Line avec le bus 21 pour y accéder, ils préférèrent utiliser la SNCB depuis la Gare Centrale, en effet il y a jusqu’à six trains par heure qui desservent l’aéroport tout proche en seulement vingt minutes, cette facilité est assez rare pour être soulignée et est un atout pour installer le siège de la MetaWorldBank dans la capitale de l’Europe.

Teresa Avila avait tout prévu et déjà munie des billets de sorte qu’ils purrent accéder au quai n°1 sans passer par les guichets encombrés de longues files.

Dans le train qui traversait la couronne économique de Bruxelles, Teresa fit remarquer qu’anciennement les portes des cités se situaient à la périphérie et c’est le chemin de fer qui a déplacé en pleine ville ces nouvelles portes d’accès que sont les gares. Au contraire, l’aviation a déporté les aéroports, cet autre accès au monde extérieur, hors les murs des villes.

— Sauf le London City Airport à l'est de Londres dans les Docklands, il est proche de la City, le quartier financier, retorqua Jérôme.

 London City Airport

È vero ! je l’avais oublié, mais à ma connaissance c’est un cas unique ?! En général les aéroports sont forts éloignés des villes, et cela allonge d’autant les trajets, mais heureusement l’aeroporto Marco Polo est au bord de la lagune, non loin de Venezia et non trop proche pour ne pas en perturber l’atmosphère.

Perfetto, dit-il… mais nous arrivons !

Le train pénétra dans le tunnel au bout duquel se trouvait la gare au cœur de Brussels Airport. Les escaliers mécaniques et les ascenseurs conduisirent les voyageurs jusqu'au hall des départs. La première chose qu’ils firent, fut de vérifier les données du vol sur le tableau d’affichage dont le bruissement des petites plaquettes alphanumériques s’écoulait en cascade. On y trouvait la rangée d’enregistrement des bagages correspondant à leur vol vers Venice VCE. Teresa Avila présenta sa valise au comptoir avec les tickets. Jérôme notifia à l’agent du check-in qu'il conservait sa Samsonite X’Blade 4.0 en cabine, car elle en respectait les normes d’admission. Aujourd’hui la liberté de voler se paie d’une soumission à toutes sortes de normes implacables. Teresa Avila quant à elle restait seulement munie d’un bagage à main, un sac bandoulière en cuir cognac très chic de Delvaux. L’architecture programmatique des lieux les entraîna au contrôle des passeports, puis au contrôle des bagages de cabine et encore au contrôle des personnes en passant par les portiques de sécurité. Il faut se garder un esprit assez innocent pour ne pas se sentir suspect dans un tel dispositif. Mais comme disait un premier ministre anglais : « Si j’instaure deux portes d’embarquement : l’une avec tous les systèmes de sécurité et l’autre sans, je voudrais bien voir dans quels avions les détracteurs de ces mesures iront mettre leurs enfants ! ».

Il y a des gens qui ont déjà peur de l’avion sans avoir besoin de terroristes pour cela, mais si on y ajoute la crainte d’un attentat, ils sont prêts à tout accepter pourvu qu’ils arrivent sains et saufs à destination. C’est donc avec sérénité que T.A.L. et J.KA arrivèrent aux portes d’embarquement, et comme aucun obstacle n’avait retardé leur progression dans les étapes terrestres vers le ciel, ils durent patienter avant que le vol soit annoncé à la porte d’embarquement du PierA. Teresa Avila entraîna Jérôme dans le lounge The Loft de Brussels Airlines et s’installèrent confortablement car que faire d’autre dans pareil environnement organisé pour que rien ne s’y passe sinon le temps.

 The Loft in Brussels Airport

Il y avait des douches et Jérôme se surprit à s’imaginer lui savonner les seins et le sexe d’une seule main à chacun de ses charmes féminins, en caressant sa bite dans la raie de ses fesses... lorsque brisant le silence, Teresa Avila lui demanda :

— À quoi pensez-vous, mon cher Jérôme ?

— À ce que me disait Richard PI, quand je lui ai expliqué pour la première fois mon idée d’une autre banque : il s'esclaffa « c’est fou ! », mais dans le sens de ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines qui furent à l’origine de l’aviation et auxquels personne ne croyait ; « casse gueule, mais faisable avec beaucoup d’ingénierie » ajouta-t-il. N’est ce pas amusant ce parallèle ?

— Oui sans doute, mais à l’époque le problème était principalement technique : pour l’aviation, il fallait développer et maîtriser l’aérodynamique avant de pouvoir porter un engin dans les airs, tandis que pour votre banque, il faudra convaincre les gens d’y apporter leur argent, et ça c’est une toute autre affaire que son propre fonctionnement technique, tout aussi complexe par ailleurs. Et votre hedge fund, il ne faudrait pas non plus qu’il se crache !

— Vous avez raison, le facteur humain y sera très important, je compte donc sur vous et sur votre amie Tosca pour y insuffler votre élixir de charme afin de séduire les masses.

— Vous parlez comme un politicien marxiste-léniniste, nous en avons eu plein en Italie à la fin du siècle dernier.

— J’ironisais, mais c’est vrai qu’il faudra convaincre et séduire beaucoup de gens si on veut atteindre la masse critique avec laquelle on amorce une réaction en chaîne qui s’autoalimente…

— En attendant, je vois que notre vol est annoncé au gate, allons-y !

Près du comptoir d’embarquement où s’activaient les hôtesses, les passagers attendaient sagement, sauf un gamin turbulent que la mère essayait de calmer afin de rétablir l’ambiance morne de la norme.

Dès que commença l’embarquement, tous se précipitèrent en file pour passer le dernier contrôle d'accès, et malgré que la business class avait priorité, Teresa et Jérôme restèrent bien assis en attendant que le flot des passagers soit tari, car la cohue était prévisible à l’intérieur de la cabine où chacun essayait de placer au mieux son bagage dans les coffres disposés au-dessus des sièges. Finalement, ils embarquèrent flegmatiquement, leurs places étant de toute façon réservées à l’avant de la cabine. Teresa Avila avait l’habitude de choisir les places tout à l’avant afin de pouvoir étendre ses jambes et ne pas devoir subir le dossier du siège précédent, au cas où son occupant aurait l’envie de le basculer en arrière, le sans-gêne de certain businessman étant inversement proportionnel à leur éducation.

 Brussels Runway 25R

Fasten seat belt, push-back, taxi, l’avion se présenta au seuil de la piste pour décoller. Le pilote mis les gaz et on sentit la poussée des réacteurs qui plaquait le dos au siège suite à l’inertie de la masse du corps durant l’accélération. Une fois en l’air les vibrations du roulage disparurent et on se laissa emporter dans un glissement soutenu. Pendant le décollage, Teresa Avila serra la main de Jérôme en profitant de l’intensité physique de la situation. L’avion survola les quartiers résidentiels à l’est de la capitale en opérant son virage vers le sud. Les populations survolées protestaient régulièrement contre ces passages bruyants, mais le problème était quasi insoluble car les vents dominants d’ouest obligeaient les opérations à décoller face à la ville assez proche — comme on l’a fait déjà remarquer —, et par beau temps, le vent du nord imposait un atterrissage sur la piste transversale après un survol à basse altitude d’autres quartiers résidentiels. Vu du ciel, ces zones d’habitations apparaissaient dans toute leur variété composite fascinante.

— À chaque fois que je prends l’avion, dit-il, je me réconcilie avec l’humanité tellement cette expérience individuelle est tributaire d’un ensemble d’inventions et de compétences dans le passé, comme de leur maintenance dans le présent, pour faire advenir cet exploit qu’un véhicule de plusieurs tonnes puisse évoluer dans les airs. C’est devenu une chose banale, mais si on y pense cela reste extraordinaire.

— Mais ma parole, Jérôme, vous êtes resté un grand enfant, c’est attendrissant.

— Réfléchisez, si on avait dit à Léonard De Vinci que plus tard même un bébé pourrait voler et traverser l’atlantique dans un engin plus lourd que l’air, aurait-il pu le croire — lui pourtant si intelligent et imaginatif —, ou bien est-ce que le poids de l’expérience vécue dans les conditions déterminées de son époque ne l’aurait-il pas juste cloué au sol ?

— On ne s’ennuie pas avec vous, mais la réflexion est intéressante, je la replacerai à l’occasion dans un cocktail mondain ou lors d’une escale d’un vol long courrier.

— Oui vous pouvez, je la tiens moi-même d’un pilote de ligne.

L’appareil arrivé en altitude de croisière, le steward entra en service et proposa quelques boissons, mais ils passèrent plutôt commande pour manger l'une ou l'autre chose : comme un Wrap Tomato Mozzarella avec une petite bouteille de 20cl de Cava Vilnarnau brut pour elle ; et pour lui un Duo Sandwich arrosé d’une Leffe Blond en canette de 33cl. Ils avaient bien pris un copieux petit déjeuner ce matin avant de partir, mais il était temps de grignoter une légère collation pendant ce vol d’une heure trente-cinq.

 une légère collation

— Ce que j’aime chez vous, c’est votre tranquille assurance, votre flegme tout britannique.

— Je ne suis pas britannique, je suis né en France d’origine kazakhe.

— Oh oh ! Voilà qui explique votre intrépidité toute cosaque pour votre projet de banque à l’assaut de la finance mondiale.

— Non pas cosaque, kazakh ! il ne faut pas confondre, les Kazakhs sont un peuple de cavaliers nomades polyethniques d’Asie centrale, tandis que les Cosaques sont des guerriers slaves d’origine caucasienne. Mes grands-parents ont émigré après la révolution russe, en 1922 lors des famines qui ont ravagé leurs terres suite à la collectivisation et aux réquisitions par les bolcheviks.

— Bigre ! c’est peut-être de là que vous tenez cette ténacité déterminée.

— N’exagérons rien, je réponds à l’adversité en devenant l’adversaire de ce qui m’y a plongé et en proposant quelque chose de nouveau dans ce secteur en crise afin de dépasser les conditions opératives de la finance.

— C’est bien ce que je dis, vous êtes déterminé à faire advenir votre banque et je vous en félicite, mieux je vais essayer de convaincre mon père de vous aider.

— De nous aider, si vous vous joignez à l’entreprise !?

— Vous êtes malin, très malin, trop malin, dit-elle avec un sourire malicieux.

"Bing" ! Fasten seat belt ! L’avion entama sa descente. Teresa Avila se tourna vers le hublot pour contempler le paysage qui s’offrait à son point de vue d’aigle. En approche, à droite on avait une vue sur la lagune et Venise y apparaissait tel un mirage sur ce miroir. Un peu avant de toucher la piste, Teresa Avila prit à nouveau la main droite de Jérôme, en la serrant fort, juste au moment de l'atterrissage.

Touch down landing, reverse, and taxi to the gate

À peine arrivé au gate, les passagers se levèrent tous ensemble en formant une cohue dans laquelle chacun se bousculait aux autres, sous le regard amusé de Teresa et Jérôme qui attendirent que la tempête humaine s’apaise pour sortir bons derniers de l’avion.

Après avoir récupéré la valise de Teresa Avila, elle guida son compagnon à travers l’aéroport vers le Darsena où l’attendait un bateau de la Cooperativa Serenissima taxi qu’elle avait réservé depuis Bruxelles. En montant à bord, elle fit la bise au pilote qu’elle présenta à Jérôme :

— Je vous présente Polo, un ami d’enfance, il travaille à la coopérative de bateaux taxi que mon père a soutenue financièrement en 1976 lorsqu’ils l’ont scindée en deux entités complémentaires. Depuis nous bénéficions d’un service personnalisé de nos déplacements dans la cité ou la lagune.

Ils prirent place dans la cabine et le motoscafo pris la direction de Venezia.

 Motoscafo from Marcopolo Airport to Venezia


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