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dimanche

Comme prévu lors de la consultation de PI, Richard se présente ce dimanche de bon matin chez Jérôme pour examiner le projet d'une nouvelle banque, d'une autre banque.

— Salut Richard, comment ça va ?

— Ça va, un peu fatigué, mais ça va.

— Tu veux un café ?  manger quelque chose ?

— Oui je veux bien un NeXpresso, what next !  dit Richard en riant.

— Sinon il y a aussi des viennoiseries, je t'en sers ...

— Volontiers.

Richard PI s'installe pendant que Jérôme prépare les expressos.
Dans une coupelle en fine porcelaine de Limoges, assorties aux tasses, il dispose deux croissants.

 service Limoges avec deux croissants

Pour rappel, cette viennoiserie a été baptisée ainsi par ironie de la défaite des Turcs à la bataille du Kahlenberg qui mit fin au second siège de Vienne en 1683.

 FransGeffels Bataille de Vienne en 1683
Frans Geffels, Bataille lors du siège de Vienne en 1683, Wien Museum Karlsplatz

Richard PI avale son café, croque un quart de croissant et entame la conversation.
 

— Bon ! Jérôme, l'autre jour quand tu m'as fait part de ton idée d'une autre banque, j'ai bien écouté tes explications et tu as réussi à me communiquer ton enthousiasme.
Mais je dois te dire qu'à la réflexion, ton projet est si énorme que j'en suis un peu perplexe.
Ça ne veut pas dire que je le crois impossible, mais ce sera très très difficile à mettre sur pied.

— Tu me laisses tomber ?  interroge Jérôme.

— Non !  il ne s'agit pas de ça, mais tu dois bien prendre la mesure de l'ampleur de la tâche.

— Ha oui !  mesurer la démesure en quelque sorte ?!  s'exclame Jérôme.

— Ça ne m'étonne pas que tu réagisses ainsi, mais il faut penser aux conséquences de ta décision.

— Et qu'est ce que tu proposes ?

— Je vais te faire le point sur une stratégie à adopter pour n'atteindre seulement que le début.

— Et avec quel succès pour y arriver ?

— Plus sérieusement, il te faut trouver une solution car ton capital initial ne couvre à peine les frais d'installation. Et tu dois d'abord t'inscrire aux autorités nationales compétentes qui autorisent un établissement à effectuer des opérations de banque et obtenir un agrément pour chaque pays dans lesquels tu voudras opérer, c'est fastidieux.
Mais primo, il faut déjà un capital minimal de départ de plusieurs dizaines de millions d'€uros qui, outre les fonds propres immobilisés, ne pourra pas tenir longtemps les dépenses courantes.
Tu as, ou plutôt tu avais bien de hauts revenus, mais ça ne constitue qu'une infime partie de ce dont tu aurais vraiment besoin pour commencer.
Il y a bien aussi ton indemnité de licenciement, mais je crains que ça ne suffira pas, et surtout qu'il serait peu judicieux de brûler ce précieux capital, alors qu'on pourrait directement le rentabiliser.

— Et tu comptes le placer où et comment, avec la crise financière actuelle ?

— Jérôme, tu sais comme moi qu'on peut aussi bien gagner dans un marché baissier que dans les tendances haussières. Réfléchis, ce serait même l'opportunité d'assaillir les banques responsables et victimes de leur propre avidité.

— OK je comprends. Tu proposes de trader pour compte propre avec mon capital initial, mais en vendant les actions de ces banques pour bénéficier de la baisse du cours lors du rachat.

— Tu sais très bien que « le meilleur moment pour investir, c'est quand la bourse est rouge sang ».

— Oui tu as raison, il faudrait attaquer le secteur financier pendant qu'il est encore très volatil.

— Affirmatif ! mais il y a encore bien d'autres secteurs affaiblis par la crise qui peuvent être aussi des opportunités pour les Vendre à découvert*. Sans compter les options PUT et tous les autres produits dérivés financiers mis sur le marché par les banques elles-mêmes...
(* Vendre à découvert : c'est-à-dire ouvrir une position short dans le jargon boursier).

— Et tu disposes d'un système de trading short assez efficace pour ne pas me ruiner tout de suite ?

— Mon poste dans la finance et dans le secteur du trading algorithmique m'a permis d'élaborer des modèles de la formation des prix au cours des échanges entre les opérateurs qui sont d'avis autant réciproques qu'opposés, et qui sont tous certains d'agir à bon escient.
Ce n'est pas toujours évident à utiliser et ça reste parfois incertain, mais c'est tout de même un support technique efficace pour la prise de décision tant manuelle qu'automatique.
Pourtant, j'ai fini par quitter la section du High Frequency Trading car à la longue les returns n'étaient plus si probants, malgré les mérites dont s'en prévalent ses promoteurs.

 High Frequency Trading

Ces systèmes qui analysent en permanence les mouvements du carnet d'ordres suite aux opérations exécutées, ont montré leurs limites puisqu'ils manipulent eux-mêmes le marché analysé, et surtout quand plusieurs programmes se font concurrence. C'est le serpent qui se mord la queue.
Les algorithmes ont détruit toutes les opportunités à court terme sur les marchés. Si une machine a calculé une opportunité d'achat, une autre machine a prévu cette décision d'achat de cette machine et agit avant elle. D'autres machines peuvent anticiper cette compétition et se placer encore avant. On parle ici en miliseconde voire moins. Le nombre incroyables d'opérations possibles en une seconde est phénoménal. Aucun humain ne peut rivaliser avec ça. La volatilité implicite à très court terme est en baisse tendantielle qui tend vers zéro. On appelle d'ailleurs ça « race to zero » !
Mais l'humain est capable de faire mieux, car autrement que ces machines, sur un temps plus long de l'ordre de un à trois mois, justement le temps des cycles d'options à échéance.
Cependant, il faut désormais tenir compte de la masse de ces flux d'interventions microtemporelles car ils perturbent ou accentuent les tendances. Elles en deviennent souvent plus linéaires, ce qui engendre encore plus d'incertitudes sur les retournements de fins de tendances qui sont justement les zones d'entrée § sortie les plus efficientes.
Mais selon moi, c'est encore la simplicité qui offre les meilleurs résultats, car la plupart de leurs systèmes complexes ne sont finalement que des complications peu performantes. Ça marche à très court terme avec d'énormes quantités d'opérations sur de faibles amplitudes, mais ce n'est pas aussi rentable qu'on le dit. Et ceux qui me connaissent ne se risqueraient pas à contredire un type dont on connait les performances, disons artisanales.
Personnellement, j'ai fini par préférer laisser aux cours tout le temps de varier pour en tirer le profit maximal. J'ai donc mis au point un systemPI de trading assez simple avec mon collègue Jacquot.
Enfin pour dire vrai, j'ai surtout perfectionné le système que ce Jacquot Vergalant – in memoriam
m'a offert en héritage avant de décéder. C'était un brillant mathématicien financier.

— Mais alors tu pourrais aussi te mettre à ton compte, comme gérant d'un fonds ...

— Monter une boîte en ce moment, ce n'est pas évident. Et je ne sais pas ce que je peux faire pour toi, mais pour survivre à la crise, je crois que la meilleure chose à faire maintenant, c'est du trading.
Donc ne trouverais-tu pas préférable dans un premier temps, de monter un hedge fund en fondant une société d'investissement, avant de créer TA nouvelle autre banque proprement dite ?
Ça te permettrait de lever des fonds progressivement auprès d'investisseurs assez friqués qui te fourniraient ainsi une base financière plus large, et de te tailler une excellente réputation par les performances réalisées dont ils feraient ensuite eux-mêmes la publicité...
Et qu'est ce que Béatrice penserait de cette approche plus prudente ?  ajouta Richard pour finir.

— Tu la connais, ce n'est pas son genre de revenir sur ses avis tranchés.

— Ha bon, et comment elle s'y prend pour se former un avis si définitif ?

— Avec son intuition féminine d'une redoutable efficacité ! répondit Jérôme avec un rire nerveux.

— C'est pas ce que je veux dire ! Comment peut-elle évaluer ton projet sans même l'avoir analysé,
tu lui as tout de même bien expliqué de quoi il s'agit ?

— C'était bizarre, j'ai l'impression qu'elle voulait se dérober de toute façon, malgré ma volonté de la convaincre. C'est une drôle de femme, tu sais, et je crains que je sois définitivement viré de sa vie.

— Tu crois ?  c'est à ce point là ?

— Je te l'ai déjà dit : elle n'aime pas les perdants, et elle a déjà pris ses distances.

— Et bien merci, c'est beau l'amour ! s'esclaffe Richard.

— Oh tu sais, l'amour d'une femme... Je n'ai donc plus trop d'espoir avec elle. Je dois rebondir.

— Je te le souhaite, de toute façon tu peux compter sur moi, on va trouver une solution !  OK ?

— Merci vieux, je crois que ça ira... (un bref silence)
Mais j'y pense, si on dispose finalement d'un capital suffisant, on pourrait racheter une petite banque avec sa licence. Et ensuite, on pourrait la développer avec une stratégie de conquête totale.

— Oui, en effet, on pourrait procéder de cette manière... Je sais que ça s'est déjà fait.
En tout cas tu peux compter sur moi pour t'accompagner dans cette aventure.
Ça commence à me plaire !

— Merci PI, tu me rassures. Je savais que je pouvais compter sur quelqu'un de ton acabit.

— Donc on commence avec une société d'investissement de type hedge fund et on se constitue un capital sur le dos des banques et de leurs actionnaires pour pouvoir fonder la nôtre.

— Oui pourquoi pas, « même les nains ont commencé petits ».

— Excellent film d'Herzog, (Auch Zwerge haben klein angefangen) aussi atypique que ton idée.

— Ah oui, j'ai oublié de te dire, Béatrice m'a invité pour diner l'autre soir, et elle m'a parlé d'une amie qui serait peut-être intéressée.

— Et c'est qui ?

— Une certaine Teresa Avila Longhi dont elle m'a donné la business card, je vais la contacter.

— Et bien voilà, c'est parti !


Note : les parties de texte soulignées sont des liens vers une autre page.

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